PRÉCÉDENT

Le Temps, 29 mai 1909

SUIVANT

URL invalide

Le Temps
29 mai 1909


Extrait du journal

La crise du caoutchouc. — L’avenir de la pro« duction du caoutchouc dans l’Afrique ocoi« dentale. Dakar, 15 mai. - Le caoutchouc est une des principales richesses de notre Afrique occidentale. A peine exploité il y a vingt ans, il fournit aujourd’hui près d’un tiers de son exportation. Sans importance au Dahomey, secondaire encore au Sénégal, c’est lui qui ali mente le commerce de la Côte d’ivoire et de la Guinée française. Retirez le caoutchouc à ces deux colonies, dont le développement a été si rapide, leur activité se réduirait à presque rien. Or, à partir de 1907, il y a eu une baisse sensible' sur les exportations. La Guinée par exemple, qui avait expédié 1,530 tonnes de caoutchouc en 1906, n’en a plus produit que 1,299 en 1907 et 1,214 en 1908. C’est une diminution de plus de 300 tonnes en trois années. Le caoutchouc allait-il donc disparaître? Ques tion fort angoissante pour nous. Aussi l’adminis tration s'en est-elle émue. Et entre autres étudet la mission Chevalier, qui parcourt en ce moment les régions forestières de l’Afrique occidentale, a été chargée d’étudier à quelles causes cette crise était due. Le jeune savant vient de faire parvenir au gouverneur général un premier rapport plein de vues neuves sur ce sujet. , L’opinion est très répandue que les nègres ex ploitent les plantes à caoutchouc d’une façon bar bare qui en amène la prompte destruction; vous pouvez lire couramment dans les journaux, comme, une vérité qui ne souffre pas de contestation, que la production du caoutchouc sauvage est appelés pour cette raison à diminuer de plus en plus .et qu’elle sera infailliblement remplacée dans un temps prochain par la production du caoutchouc cultivé. Il est possible que cela soit exact pour les pays où les plantes à caoutchouc sont des arbres, parce qu’un arbre demande beaucoup d’années pour se reproduire, mais cela est faux pour le Soudan où le caoutchouc est fourni par des plantes' qui ont la forme soit de lianes, soit de buissons. Les nègres ont deux manières de les exploiter; dans la forêt ils les coupent, dans la brousse ils se contentent de les inciser. Aucune de ces opéra tions ne détruit- la plante. Des racines des lianes coupées comme des troncs des buissons incisés re partent des drageons qui deviennent eux-mêmes exploitables au bout de quelque temps. Nulle part, dans ses explorations, M. Chevalier n’a remarqué qu’il y ait tendance à la disparition des lianes par suite de l’exploitation nègre. La croyance contraire, si solidement établie qu’elle soit, n’est qu’une sup position imaginaire. Nous voilà donc débarrassés d’un cauchemar!, Non, au moins dans l'Afrique occidentale, la ma nière dont on le recueille n’est pas destinée à fair< disparaître le caoutchouc sauvage. Et c’est là uni constatation singulièrement importante pour lt colonie. Cependant il n’en est pas moins vrai qu’K y a une destruction continue et depuis quelque* années croissante des lianes, mais pour une raisos complètement étrangère aux procédés de cueillette,. et qui est la multiplieation.des feux de brousse. On appelle feux do brousse les incendies que le? indigènes allument, une fois leurs récoltes faites, pour brûler les herbes. En soi, ce n’est pas une pratique condamnable. En Europe, on enterre les herbes à là charrue pour en faire des engrais verts; en Afrique, où l’on n’a pas des instruments ", assez,puissants pour une pareille opération, on ne peut utiliser eet engrais que sous la forme de cen dres. De plus, les feux de brousse détruisent les reptiles et les insectes qui pullulent sous le so leil africain. Seulement, quand elle se généralise trop, cette pratique devient désastreuse. Avant l’occupation française, la population se tassait sur quelques points du territoire, pour mieux se dé fendre. Aujourd’hui que la sécurité est absolue, elle se disperse partout et transporte par consé quent partout l’usage des feux de brousse. Aucune plante arbustive ne résiste à ces incendies répé tés chaque année; en sorte que si on laisse faire, on peut prédire qu’il ne restera pas un buisson, et par conséquent pas une plante à caoutchouc au Soudan. Les environs du poste de Beylia, où M. Chevalier a fait un séjour, sont caractéristiques à cet égard. Il avait été créé, il y a quelques années, en pleine brousse. Aujourd’hui, à vingt-cinq kilo mètres à la ronde, le soi est complètement dénudé et n’étant plus défendu, il commence à se raviner sous l’effet dés pluies d’orage. Les feux de brousse, voilà donc le vrai mal qui menace la production du caoutchouc dans l’Afri que occidentale. A cette cause profonde s’en est jointe une accidentelle : la baisse des prix pendant le second semestre de 1907. D’une façon tout à fait brusque, le kilo a perdu plus d’un tiers d« sa valeur. Les nègres n’ont pas compris; complè tement ignorants des lois de l’offre et de la de mande, ils ont cru à un coup concerté par les né gociants européens. Iis se sont pjqués et ont fait grève. Il ne faut pas se dissimuler d’ailleurs quénotre domination a pour effet de répandre parmi eux le bien-être el qu’à mesure qu’ils prennent de? habitudes de vie plus douce, la cueillette du caoutchouc leur paraît un travail plus rebutant. Quitter son village et passer des semaines dans la forêt, mal nourri et mal abrité, à courir les plà*...

À propos

Le Temps, nommé en référence au célèbre Times anglais, fut fondé en 1861 par le journaliste Auguste Neffzer ; il en fit le grand organe libéral français. Il se distingue des autres publications par son grand format et son prix, trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires. Son tirage est bien inférieur à son audience, considérable, en particulier auprès des élites politiques et financières.

En savoir plus
Données de classification
  • jaurès
  • abd el aziz
  • chéron
  • deleassé
  • chevalier
  • fernand labori
  • pichon
  • gomez
  • jonnart
  • fallières
  • france
  • maroc
  • algérie
  • paris
  • afrique
  • algésiras
  • rouen
  • amiens
  • bordeaux
  • lyon
  • la république
  • capitole
  • bt
  • parlement
  • parti conservateur