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Le Temps, 30 décembre 1894

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Le Temps
30 décembre 1894


Extrait du journal

— Que Votre Excellence ne s’impatiente pas. Le roi n’est pas encore revenu de la chasse. Mais Sa Majesté ne saurait tarder. M. de Beauharnais s’inclina sans manifester aucun étonnement. Il était fait aux habitudes de Charles IV. Passionné pour la chasse à tir, ce prince partait tous les matins avec ses équi pages et se laissait ordinairement entraîner si loin, qu’il était rare que l’étiquette de sa mai son n’en souffrît pas. La plupart des solennités qu’il honorait de sa présence subissaient des retards dont il s’excusait ensuite, mais qui se renouvelaient sans cesse. Cependant, de la cour du palais montaient des clameurs. Un chambellan s’était élancé vers une croisée. Il regarda au dehors et, allant en suite à l’ambassadeur, il lui dit : — Votre Excellence n’attendra plus longtemps. Voilà Sa Majesté. — Mais, que signifient ces cris ? demanda M. de Beauharnais. — Oh! ce n’est rien, répliqua le chambellan en riant ; le roi bat un de ses palefreniers. C’est une habitude. Ou il les flatte, ou il les rosse. Le bruit ne tarda pas à s’apaiser. Alors, dans la galerie se fit un profond silence. Le roi et la reine allaient entrer. Ils apparurent enfin, annoncés par leurs officiers. Charles IV portait encore ses vêtements de chasse : habit de drap couleur chocolat, à bou tons jaunes, culotte en peau de daim, bas bleus avec, sur sa perruque grise à la Louis XVI, qui accusait son type bourbonnien, un chapeau noir à trois cornes, aux bords relevés très haut. - Quoi qu’il n’eût que cinquante-neuf ans, sa figure marquait un âge plus avancé. Les soucis de son règne, depuis la Révolution française, l’a vaient précocement vieilli. Sa démarche était pe sante et lente, mais non dépourvue de majesté. A son côté, s’avançait la reine dont la mise recherchée et luxueuse formait avec la sienne un saisissant contraste. Une couronne d’or dont chaque pointe se terminait en une grosse perle était posée sur ses cheveux ébouriffés, poivre et sel, d’où émergeait tremblante sur le front une aigrette scintillante. Une robe en satin jaune à dentelles en point d’Angleterre se collait comme un fourreau à son corps déformé. Le corsage finissait sous les seins à peine voilés et s’agré mentait d'une veste dê soie. Les manches plates s’arrêtaient au coude. A chaque poignet, étince lait un bracelet, l’un en or à cadenas, l’autre formé d’un seul rubis. Cette parure, loin d’embellir Marie-Louise, mettait en relief les ravages que cinquante-trois années avaient faits sur ses traits. Ridée, fanée, lamentable, la pauvre reine n’était plus qu’une ruine. Elle souriait cependant, montrant entre ses lèvres épaisses une. double rangée de dusses dents, usées et jaunies....

À propos

Le Temps, nommé en référence au célèbre Times anglais, fut fondé en 1861 par le journaliste Auguste Neffzer ; il en fit le grand organe libéral français. Il se distingue des autres publications par son grand format et son prix, trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires. Son tirage est bien inférieur à son audience, considérable, en particulier auprès des élites politiques et financières.

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