Extrait du journal

de l’unique rue se dressait une petite maison nette construite avec des troncs d’arbre, non sans un certain goût. C’est là qu’habitait le bû cheron. Il avait bâti cette sorte d’wàa lui-même et, chose rare, il y vivait heureux. Avant d’entrer, Sidonie lui dit : — Vous allez venir à Saint-Benoît, je pense ? — Comme de juste, répondit-il. Puis, quand ils furent dedans : — Femme, fais chauffer quelque chose pour cette petite, c’est la bonne amie à Bruno. — Ne dites pas ça, Jean, ne dites pas ça. — Pourquoi?'Tu ne l’aimes pas, alors — Oh ! si, mais... c’est lui... — Il m’a rendu autrefois un service, il faut que je lui en rende un à mon tour, comme de juste. En attendant, tu vas manger un mor ceau et boire un coup. Mais pendant que le fri cot chauffera, il faut te changer. Le brave garçon avait vu dans quel état se trouvait Sidonie. -— Femme, prête-lui tes cottes, et une che mise, et des bas, et des chaussons, et tout. — Mais pourquoi faire ? puisque je m’en re tourne avec vous. Au bout d'un quart d’heure je serai aussi mouillée que maintenant. — Non, tu verras. Et puis, pas de façons, pas de paroles, il ne faut pas perdre son temps. La Torte se laissa faire. La femme de l’Ours était une délicieuse brune, fine, alerte, qui fai sait le plus exorbitant contraste du monde avec son mari. Jamais un homme plus fruste, plus bestial en apparence, n'avait été uni à plus séduisante ménagère. La belle et la bête, quoi! Ce qu’il y a de plus surprenant, c’est que Jeanne. paraissait heureuse au possible. Le front sans souci, la lèvre souriante, propre, souple, confortablement vêtue de molleton épais et gai, elle obéissait à l’Ours avec un plaisir évident et sincère. Jean la contemplait d’un œil attendri pen dant qu’elle fouillait dans son armoire. 11 levait parfois son regard vers le ciel dans un élan de reconnaissance. Quand Sidonie eut mis les vê tements qu’on venait de lui prêter, elle prit sur le pouce un morceau de jambon savoureux et du'pain qu’elle mordit à belles dents. La pauvre boiteuse n’avait rien mangé depuis le matin, elle dévorait. — Maintenant je vais t’arranger les pieds pour que tu puisses marcher dans la neige. As seois-toi. Il fallut que Sidonie obéît. L’Ours alors lui enveloppa les pieds et les jambes avec des morceaux de drap taillés en lanières. Puis par-dessus il déroula de la toile cirée qu’il assujettit avec de grosses ficelles pour faire des guêtres primitives, mais solides. Et enfin la Torte chaussa par surcroît des demi-...