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L’Écho de Paris, 3 juillet 1935

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L’Écho de Paris
3 juillet 1935


Extrait du journal

C'est, tout de même, une situation anormale que celle d'un peuple qui, élisant des députés et tenant, semble-t-il, à en élire, n'est rassuré que lorsqu'ils ne sont plus en état d'agir : anormale et je dirai para doxale. Les adversaires du régime actuel attribuent ce sentiment au dégoût qu'inspireraient à la France ses élus actuels, et « la décadence des mœurs parlementaires *. Mais à une époque où le parlementarisme était pratiqué avec plus de conve nance, nous avons tous discerné dans la nation ce même soulage ment singulier devant la mise en congé des représentants du peuple. Je me suis bien souvent demandé pourquoi une Assemblée, aussitôt élue, était vouée à la méfiance. Car enfin eligere veut dire choisir et qui dit choisir dit mettre sa con fiance en quelqu'un. En France, un député est l'objet de la suspicion la plus résolue —* presque en principe. Cela a toujours été ainsi. Les pre miers députés élus l'ont été au printemps de 1789 ^ -ils ' n'avaient encore rien fait qu'on les tenait pour suspects. J'ai vu les plaintes d'électeurs du Barrois — pays que je connais bien— parce que, disaient-ils, « les hommes de lois » avaient pris toutes les places, « s'étaient emparés de tout ». Et le fait est que, si, en 1789, la masse des paysans et artisans appelés par Louis XVI à voter avaient élu, non des légistes, mais des paysans et des artisans comme eux, l'Histoire eût été bien changée ; il régnait alors chez les petites gens, j'ai essayé, dans un livre récent, de l'établir, une idée dominante, exclusive : celle de fonder l'égalité ; quant au « despotisme » que les philoso phes stigmatisaient, il était fort in différent aux masses qu'il se per pétuât et « la liberté » n'était que dans la bouche des jeunes bourgeois et gentilshommes. Peut-être faut-il chercher dans le divorce qui s'ins titue et grandit alors entre la Na tion et ses députés l'origine loin taine des méfiances que, dès lors, traditionnellement, le peuple fran çais- a nourries contre ses « repré sentants Moi qui ai tâté, tantôt avec suc cès, tantôt avec revérs, du corps électoral, je puis témoigner qu'un candidat est toujours écouté, même dans les lieux où ses opinions sont agréables, avec une sorte de ré serve un peu soupçonneuse, sur la quelle le susdit candidat, s'il a quelque finesse, ne peut se trom per, mêm° quand quelques parti-: sans pleins d'ardeur paraissent lui faire un succès. L'homme le plus accrédité par son caractère,, ses ser vices, son passé, devient, dès qu'il brigue les suffrages, objet de mé fiance, et même si on les lui ac corde — fût-ce en grand nombre — il subsiste chez beaucoup de ses électeurs la pensée : « On va voir s'il ne tournera pas aussi mal que les autres. » Un jour que je causais avec un paysan fort intelligent, je lui disais : « Eh bien ! il y a, pa raît-il, beaucoup de bons députés dans la nouvelle Chambre », et il me répondit : « Ils ne resteront pas bons longtemps, allez. Vous savez, quand on met du bon vin dans un tonneau où il y a du vinaigre, il se vinaigre. * Pour beaucoup de ci toyens, par surcroît, le ; candidat heureux est un prestidigitateur qui a réussi son tour et qui, ayant leurré son public, s'en va au PalaisBourbon en riant sous cape de la bonne farce. Il est possible qu'il en soit quelquefois ainsi, mais il est souverainement injuste de généra liser. Il n'est pas surprenant que, dans un tel état d'esprit, l'électeur — de gauche ou de droite — suive son député à la Chambre d'un œil soupçonneux et, en toute occasion, le juge avec sévérité. Or un député étant homme, il n'en est point un qui ne soit faillible, mais on juge avec une particulière rigueur son moindre geste, malheureux. Si un scandale se produit par surcroît, qui atteint plus cruellement tel ou tel des représentants, le peuple, tout aussitôt, s'écrie : « Ils sont tous les mêmes. » L'année dernière, j'en tendais dire, à propos de trois ou quatre députés mis sous les verrous, pour connivence probable avec un célèbre escroc : « Vous verrez qu'ils s'en tireront puisqu'ils sont dé putés. Ces gens-là se tiennent tous. D'ailleurs, si les gens arrêtés par laient, ils montreraient bien que leurs collègues en ont fait autant. » C'est évidemment là un jugement téméraire, encore qu'il ne soit pas — ainsi que le catéchisme définit ce péché — « basé sur de légères ap parences ». L'affaire du Panama, qui commence à dater, est presque oubliée dans ses détails ; mais elle a marqué une date parce qu'il en est resté, dans la Nation, l'impresrsion qu'un député « s'en tire » parce que les autres n'ont jamais la conscience. tranquille. Et le fait est qu'on a vu alors un député an cien ministre qui à la tribune, avait avoué, redevenir ministre et même président du Conseil. C'est pourquoi j'écrivais que la voix du peuple, pour téméraire que soit son jugement, ne peut être tout à fait démentie. Quoi qu'il en soit, suspects ou...

À propos

Fondé en 1884 par Aurélien Scholl et Valentin Simond, L’Écho de Paris était un grand quotidien catholique et conservateur. Il était sous la coupe financière du célèbre homme d'affaires Edmond Blanc, propriétaire notamment de plusieurs casinos et hôtels de luxe à Monte-Carlo.

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