Extrait du journal

A la veille des jours où, comme dit le poète, « le jardin n'a plus que des chrysanthèmes », une femme, qui avait vécu pour les fleurs et parmi les fleurs, a été conduite au cimetière avec un brillant cortège des dernières fleurs joyeuses et embaumées. Et l'on songe à la parole de Natalie CliffordBarney : « La fin des femmes est en core plus navrante que la fin des fleurs. » Mais peu de vies laisseront un sou venir plus féerique que celle de Mme de Vilmorin, véritable ambassa drice de l'horticulture française. Sur toutes les routes fleuries du monde elle est allée, mais conservant pieu sement sous ses paupières des visions de France qu'aucune splendeur étran gère ne pouvait lui faire oublier, « Pas un de mes voyages qui n'ait eu pour but un jardin », disait-elle, et elle ajoutait : « Les plus .beaux jardins, je ne les ai pas rencontrés en Nouvelle-Zélande ou en Australie, mais chez les éclusiers de France, Et j'aimerais faire une exposition de ces parterres de nos gardiens d'écluses qui, devant une fleur, sont comme le fervent devant son dieu. » « Les femmes ont renversé plus d'empires que les armes de conqué rants », a écrit Horace. Mme de Vil morin, elle, construisait ; elle servait la cause de la civilisation, toujours en péril, jamais donnée une fois pour toutes, « point à jamais acquise, disait Eugène Marsan, mais sauvée tous les jours ». Elle apportait au monde une des plus belles expressions de l'art français, marquée par un goût de l'ordre qui sait respecter la fantaisie. C'était certes la mission d'une femme et il est bien que ce soit une femme qui ait « maintenu » les visions joyeu ses des parterres fleuris, des belles terrasses du passé, où s'inscrivait le plus pur de notre goût et de notre esprit. L'art des jardins est de toujours et...