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L’Écho de Paris, 4 avril 1895

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L’Écho de Paris
4 avril 1895


Extrait du journal

Plusieurs hommes politiques français, non des moindres, interrogés sur la tragicomédie de l'anniversaire du prince de Bismarck, se sont dérobés à l'interview. Je pense qu'ils se sont sentis gênés pour s'exprimer en pleine franchise, par le sou venir des situations officielles qu'ils ont occupées jadis, ou par l'espoir de celles qu'ils pourraient ambitionner dans l'ave nir. Rien de semblable ne me gêne. Et il me paraît que c'est une bonne besogne, quand on n'esttenuparrien, pas même par les liens du patriotisme officiel, tel que l'entend la Ligue des Patriotes ressuscitée, de regarder avec sang-froid nos 'enne mis de 1870, de voir où en est l'Allemagne et quelle figure feront, devant l'histoire, les •hommes qui ont créé sa périlleuse gran-: deur. Laplupart de ces hommes sont morts, assez heureux pour disparaître avant d'a voir vu discuter leur œuvre. De la redou table trinité qu'il formait avec M. le maré chal de Moltke et l'empereur Guillaume, le prince de,Bismarck survit seul. Il porte seul le poids de la responsabilité de la victoire, lourd parfois aussi. D'une moidestie affectée, en recevant l'épée d'or que lui àofferte le jeune empereur, il a dit qu'il ne méritait d'être récompensé que comme un soldat. Par" là, il à voulu indiquer qu'il avait, dans sa politique, obéi à l'aïeul, prenant sa revanche de l'ancien "désaveu que lui infligea le petit-fils. Mais, en dehors de ces habiletés, de langage où se retrouve cette sorte de fi nesse un peu lourde particulière, à l'Al lemagne et que Bismarck .possède au plus haut degré, on peut croire qu'il ne regrette rien et que, si sa vanité jadis blessée par l'empereur et aujour d'hui consolée par lui, a pu souffrir, son orgueil est toujours resté debout. Je serais fort étonné d'apprendre qu'il ait jamais douté. Le doute, cette douleur et cette grandeur de l'âme, n'est pas pour dés es prits comme ceux du prince de Bismarck. Ce qu'ils peuvent avoir de regrets, c'est, parfois, de laisser une tâche incomplète, jamais de l'avoir entreprise. Malgré sa culture, malgré ses prétentions à la philo sophie, M. de Bismarck est un cerveau simple. Il a été l'homme d'une idée, d'une seule, négligeant ou ignorant ce qui était : hors de sa conception. Homme de génie ■cependant — on a tort dé le vouloir nier aujourd'hui, après l'avoir* trop répété ja dis. Car on peut être un grand homme, même en. se trompant. Tous les fonda teurs de religions ne sont-ils. pas, dans l'histoire, des grands hommes, quand ils ne deviennent pas des dieux dans l'imagination subjuguée des hommes ? Cependant ils n'ont pas tous raison et peut-être aucun 1 De même, en politique, tout homme est grand qui change, fût-ce pour une heure, la face du monde. Quand ce changement n'est pas un progrès, quand il n'a qu'une pensée étroite pour mobile (le patriotisme peut être cette pensée), qu'il ne se sert que de la violence pour la réaliser, le grand homme devient ce qu'Auguste Comte appelait un « génie né faste ». Ce mot, il l'appliquait à Napoléon, dont il voulait que l'humanité célébrât le souvenir par des fêtes expiatoires : il l'eût appliqué à M. de Bismarck. Ce sont des génies rétrogrades. Napoléon, La tin, est retourné au césarisme romain. M. de Bismarck, Teuton, est retourné presque au moyen âge. Une erreur or dinaire de nos esprits, c'est de croire que la connaissance scientifique, en soi, ,est un progrès. La science n'est qu'un instrument, bon ou nuisible, selon l'état moral de qui la possède. L'admirable Ou tillage diplomatique, administratif et mili taire que M. de Bismarck eut en main et fabriqua pour une part a été mis par lui au service d'idées que l'humanité ne sau rait que redouter. Et, de même, pour ar river à son but, qui fut le triomphe du nationalisme germain, il créa un instru ment politique qui n'était plus en rapport avec les idées du peuple auquel il l'appli quait. Là est la faiblesse de son œuvre. C'est par là qu'elle périra. Ce grand homme n'a pas su être son propre contem porain. Regardez l'Allemagne d'aujourd'hui. Si vous mettez à part lé corps d'officiers qui est resté féodal et où règne au plus haut degré le militarisme professionnel, vous trouverez une nation profondément mé contente. Le particularisme est encore très vivant dans toutes les agglomérations d'autrefois, chez ces petits peuples, Wurtembergeois, Saxons, Hanovriens, Badois, Bavarois même, qui vivaient heureux, neutralisés, avec des cours charmantes et des goûts pacifiques. Dans l'ancienne Prusse elle-même, la bourgeoisie est mé contente : elle ne trouve pas dans la gloire impériale une compensation à son man que d'influence politique et à la lourdeur des charges budgétaires que lui impose le militarisme. Les milliards français n'ont pas enrichi l'Allemagne, gui a forcé sa pro duction au delà des besoins de sa consom mation. Un certain goût de luxe a envahi la vieille Allemagne patriarcale, et d'éphé mères joies il n'est resté que des besoins qu'elle ne peut toujours satisfaire. Quant au peuple, conduit par de hardis penseurs dont les esprits doctrinaires vont droit à l'absolu, il devient socialiste et révolu tionnaire avec une rapidité qui n'est pas pour me déplaire.Pas plus tard qu'hier,un homme dont la parole fait foi me racontait une anecdote caractéristique. Il me disait que, ces temps-ci, undéouté socialiste du...

À propos

Fondé en 1884 par Aurélien Scholl et Valentin Simond, L’Écho de Paris était un grand quotidien catholique et conservateur. Il était sous la coupe financière du célèbre homme d'affaires Edmond Blanc, propriétaire notamment de plusieurs casinos et hôtels de luxe à Monte-Carlo.

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