Extrait du journal

Par une conséquence inattendue et lo gique, l'instruction positive qu'ont reçue les jeunes gens d'aujourd'hui les a jetés dans une sorte d'idéalisme vague. L'idéalisme nous avait conduits à la science. Un enseignement positif les a conduits au mysticisme. Il y a là de quoi confondre la sagesse humaine. La jeu nesse formée par les méthodes ration nelles n'est point rationaliste. Les faits ne leur disent plus.rien; ils n'attendent rien des méthodes positives. Ils sont religieux. Sans doute, ils ne s'en ferment pas dans une formule théologi que. Et quelle religion pourrait leur of frir, à l'heure qu'il est, un paisible re fuge? Quel dogme est encore debout après tant d'assauts? Quel sanctuaire garde as sez d'ombre et de paix pour abriter les âmes ? Ils ne croient pas, mais ils vou draient croire. Et mieux encore: comme saint Augustin, aux heures troublées de sa jeunesse, aimait à aimer, ces esprits, dans leur frêle nouveauté, se plaisent à croire qu'ils croient. Aussi, pour exercer sur eux un facile empire, faut-il avoir un esprit religieux, mais religieux seulement par sa tendance et par ses aspirations. Car aucune religion formelle n'est en état de se saisir des âmes qui sont à prendre. Et ceci n'est pas la moindre singularité de la situation in tellectuelle à,l'heure présente. I Nous avons grandi, nous autres, dans la foi scientifique. Nous avons essayé de fonder la morale sur la science; noU3 avons tenté de constituer ce que noua appelions la sociologie. Confessons que nous n'avons pas réussi et que l'idée du devoir telle que nous la concevions parais froide et nue. * ^ Nos descendants ne nous ressemblent ' pas. Ils sont pleins de bonne volonté. Mais, ils noussont, je crains, inférieurs poijr l'îrtfé'i dace intellectuelle. Un souffle de religiosité passe. Ce tfesi qu'un souffle. Certes, il est bon de croira ! et c'est un doux oreiller que la foi. Encore faut-il pour croire avoir quelque chose i croire et vous ne nous apportez rien de croyable. Vous nous montrez sur votre poitrine un cœur de vermeil percé da glaive. Il n'y a pas de bon Dien dedans.'1 Et vous le . savez bien. Pourquoi faitesvous semblant de ne pas le savoir? J'ad mire ces nouveaux apologistes qui veu lent donner aux autres une foi qu'ils n'ont pas, et ces néophytes singuliers qui, dans leur désir de croire, croient ce qu'ils ne croient pas. Les conseillers le mieux écou- ! tés de cette jeunesse élèvent des autels j au dieu inconnu. Ils ne disent pas ce ! qu'il faut croire, mais ils disent : s j « Croyez; rien n'est bon que de croire. » ' Je ne découvre, dans ces paroles, que sujet de trouble et d'incertitude. Il est vrai que la foi transporte les montagnes. Il est vrai que les peuples sont puissants par la communauté des croyances. Il n'est pas moins vrai que' les hommes ani més d'une foi commune n'ont rien de plus pressé que d'exterminer ceux qui pensent différemment, surtout quand la différence est très petite. En sorte qu'on peut douter de la bonté des actes que la foi inspire. Le temps qui fait le plus d'honneur à l'humanité est, sans 'conteste, celui des Antonins. Un vieillard, qui fut ministre de la République, dans les années où il y avait encore des ministres capables de lire et de penser,disait un jour devant moi que c'était l'âge des Antonins où il aurait voulu vivre s'il lui avait été permis de...