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L’Écho de Paris, 9 février 1893

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L’Écho de Paris
9 février 1893


Extrait du journal

Malgré moi, j'y reviens et je suis bien contraint, par l'actualité, d'y. revenir, à cette affaire du Panama, véritable écluse qu'on a ouverte, «le cœur léger», comme on a dit jadis, d'un mot, d'ailleurs, mal compris, sans voir quel torrent .s'en échap perait et ce que ce torrent pourrait empor ter sur son passage ! Mais la grande, la seule affaire du jour, c'est la publication des ordonnances de la chambre des . mises en accusation. Cette publication a causé un émoi formidable. Elle me laisse, pour mon compte, troublé et rêveur. Car, sans manquer de respect à la justice, on peut se demander si cette justice a été juste,et si, dans la redoutable balance des lois, elle a mis tous les éléments qui de vaient entrer dans l'appréciation qu'on peut faire des faits dont elle avait à con naître? Des bruits divers, depuis plusieurs jours avaient couru. Les magistrats ont; fardé très fidèlement le secret de leurs élibérations, supérieur», en cela, aux membres de la commission d'enquête qui, réunissant les racontars et les dénoncia tions, les répandent sur leur chemin, ivres de scandales. Mais plus les magistrats étaient muets, plus il était « distingué; » d'avoir un tuyau. On visait donc deux choses. L'une, que la Chambre des mises en accusation allait juger en droit, sans s'inquiéter des cas particuliers. Dans cette hypothèse, elle eût déclaré que les parlementaires compromis, n'étant pas fonctionnaires, étaient couverts par la formule d'ordre ■supérieur qui dit que nul élu ne peut être poursuivi à l'occasion de ses votes. Elle les eût, tous ensemble, renvoyés .des fins de la plainte. Ceux qui auraient souhaité un débat public, leur permettant de se justifier avec éclat devant l'opinion, au raient pu le faire tout de même. Insultés .quotidiennement, ils avaient la ressource défaire des procès en cour d'assises à leurs insultenrs.Mais les choses n'ont pas été ainsi. La cour des mises en accusation n'a pas jugé en droit ou, jugeant en droit, c'a pas conclu à un acquittement ou à son incompétence. La première hypothèse s'est évanouie. La seconde, c'était que la chambre des mises en accusation, ayant écarté l'excep tion de droit pur, mais n'ayant pas le temps, en cinq jours, de s'édifier, peu dé sireuse, d'ailleurs, de prendre, sans l'opi nion représentée par le jury, une décision sur des cas qui relèvent surtout de l'opi nion, renverrait tous les inculpés en cour d'assises, en indiquant nettement dans son arrêt qu'en agissant de la sorte, elle entendait seulement dire qu'il y avait des faits ou des présomptions suffisants pour nécessiter un débat, dont son arrêt ne de vait pa? préjuger l'issueT Mais, pas plus que la première, hypothèse, celle-ci ne s'est pas réalisée. La chambre des mises en accusation a fait des choix : elle a ren voyé les uns, gardé les autres* assumant sur elle une terrible responsabilité. Cet arrêt, est-il besoin de le dire, ne satisfera personne. Les hommes de parti, déguisés en austères justiciers, ne sont pas contents. L'homme qu'ils haïssaient îe plus, Rouvier, leur échappe. J'en sais qui, publiquement, ont déclaré qu'il leur importait peu de renvoyer indemne tous les inculpés, pourvu que celui-ci leur fût livré. Leur fureur ne prend même pas la peine de se cacher. Elle n'est pas hypo crite, ce dont il la faut louer. C'est bien assez de la haine, sans qu'on y ajoute l'hypocrisie ! D'autres hommes qui; dans ces lugubres affaires, ont apporté un es prit impartial et attristé, ne peuvent s'empêcher de penser que, parmi les in culpés même, il semble y avoir une part de hasard, réglant leur sort, et qu'en de hors d'eux, les gens qui ont à se reprocher des compromissions autrement graves qu'une aventure de camaraderie passagère se tirent d'affaire, portant la tête basse •huit jours, un mois peut-être, mais pour la relever bientôt plus menaçante que ja mais. J'en reviens à ma turlutaine, esti mant que pour juger une affaire comme celle-ci, le vrai tribunal, quelle que soit l'impartialité des juges, ne devait pas être un tribunal de. « professionnels », qui ne tiennent pas compte des mœurs, pas plus qu'un tribunal de politiciens, terrifiés gpar leurs électeurs. Il eût fallu un tri bunal de braves gens, ayant vécu, sa chant la vie de Paris en ses recoins, sans idées absolues, décidés à moins con naître des faits qu'à apprécier leurs mobiles. Je suppose que, devant ce tribunal, com paraisse tel ou tel des inculpés, non des deux ou trois qui, aceusés ou non, ont su, dans l'aventure panamesque, ce qu'ils faisaient et ont vendu leur appui contre leur conscience, et de façon à nuire, mais un de ceux, que tout le monde nomme, et qui n'ont, certes, pas cru faire mal. Je ne voudrais pas, pour eux, devant mon tribunal, d'autre plaidoyer que le récit de la façon dont la chose s'est faite. On est à l'Opéra ou ailleurs. Le gros banquier est là, manieur d'argent et homme déplaisir, affectant le « bon garçonisme » d'un Mécène avec les hommes politiques, sur tout avec ceux qui touchent aux lettres et aux arts. Remarquez que cette affaire de Panama, pour laquelle on n'a pas assez de sévérités aujourd'hui, ignorée en ses détails, passait, jusqu'au dernier mo ment, pour une entreprise heureuse, glorieuse,.sûre, «.nationale », comme diJÈtoueu des sceaux Ricard. On en parle. Une émission va avoir lieu. C'est le dernier effort, après lequel vien...

À propos

Fondé en 1884 par Aurélien Scholl et Valentin Simond, L’Écho de Paris était un grand quotidien catholique et conservateur. Il était sous la coupe financière du célèbre homme d'affaires Edmond Blanc, propriétaire notamment de plusieurs casinos et hôtels de luxe à Monte-Carlo.

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