Extrait du journal

et me trouvai face à face avec un drôle de corps, un inconnu tout gringalet, avec une face bilieuse d'intellectuel aigri, sous un de ces grands chapeaux guesdistes à bords plats comme les aime M. Léon •Blum. Il était en proie à une agi tation fébrile, gesticulait comme un pantin et parlait avec un effroyable accent méridional. — Alors, me cria-t-il dans la figure*-.qu'est-ce que vous en dites, de tout ça ? Vous y, croyez, vous, à tout ça ? Vous croyez à l'Afrique, vous ? Vous croyez à l'Algérie, peut-être? Du carton-pâte, mon sieur ! Du carton-pâte, comme ici ! L'Algérie, le Maroc, le Soudan, l'Afrique, monsieur, ça n'existe pas! Je vous dis que ça n'existe pas ! J'eus toutes les peines du monde à me dépêtrer de ce malheureux sans attirer sur lui l'attention des gardiens. Je suppose qu'il est main tenant locataire d'un cabanon bien matelassé. Mais, par une de ces obsessions dont on n'arrive pas à se défaire, sa formule grotesque m'est restée dans la mémoire : « L'Afri que, monsieur, ça n'existe pas. » Je me la redis machinalement cha que fois que je vois se dessiner la côte du continent noir. Les fous les plus fous ne font souvent qu'exprimer sous une forme outrancière et extravagante les idées ou les illusions d'un grand nombre de braves gens. Je me suis souvent demandé si mon « piqué » de l'Exposition n'était pas dans son genre lé porte-parole de milliers de mes compatriotes. Cent six . ans après le débarquement de Sidi-Ferruch (l'une, des plus grandes jour nées de l'histoire de France), cin quante ans après notre installation définitive en Afrique noire, une multitude de Français n'ont pas en core pris conscience de cette im mense réalité qu'est, leur Empire colonial. Je me demande s'ils se rendent compte que l'Afrique « existe » en fait. Je les soupçonne d'accuser confusément notre grand domaine d'outre-mer d'être une apparence fallacieuse et peut-être même un bluff colossal. En tout cas, l'Empire n'occupe dans leurs ré flexions politiques qu'une part nulle ou infime. Ils n'appartiennent que par la pensée à la France des cent millions d'habitants. Plus précisément, les colonies ne commencent à « exister » pour beaucoup qu'au moment où elles nous causent des ennuis. Il faut des difficultés, des troubles, des ré voltes, tout au moins des conflits d'intérêt pour que le peuple sou verain daigné y songer de temps en temps. L'Afrique du Nord, pour certains Méridionaux, c'est une contrée qui produit trop de vin. Pour d'autres, c'est une terre qui fait pousser trop de blé et dont on peut craindre qu'elle fasse pousser demain trop de betteraves. Charge aux yeux des uns, servitude aux yeux des autres. L'idée que la France moderne ne peut plus être autre chose qu'un grand Etat étayé sur les deux rives de la Méditer ranée est encore très loin d'être familière à la masse ignorante et sans imagination des électeurs. Et pourtant.;. Sujets d'inquiétude au Maroc Depuis quelque temps, il existe, même dans les couches les plus profondes de l'opinion, une certaine...