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L’Écho de Paris, 14 avril 1895

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L’Écho de Paris
14 avril 1895


Extrait du journal

--Il nous embête, ton copain... Si tu avais un peu de cœur* tu lui dirais de laisser la petite tranquille... ■— C'est pas sa faute si elle court après lui... — Et quand il vient lui faire des signes à travers les carreaux.? . Et puis, zut !... Ça les regarde, après tout, ces mômes-là... S'il faut que je me charge de veiller sur la vertu de mes sœurs, les journées ne sont pasassez longues... La mère se retourna, furieuse, et l'en tretien dégénéra en dispute, avec les cris et les épithètes de circonstance. Ils conti nuaient à s'engueuler, sans que le père fut intervenu, quand la porte s'ouvrit et la discussion prit fin aussitôt. Les deux énergumènes sautèrent au cou de celle qui venait d'entrer : — Ah ! te voilà, ma chérie !... — Bonjour, ma petite Julienne ! — Eh bien ! tous mes compliments, dit froidement celle-ci ; vous en faites, un po tin ! On vous entend jusque dans la rue... Elle promena son regard de l'un à l'au tre, comme pour s'âssurer de quel côté étaient les torts, et, haussant les épaules d'un air.de commisération bon enfant, — tel un maître qui ne veut pas sévir pour un enfantillage, — elle se dirigea vers son père, lequel s'était dressé, très digne. Elle l'embrassa du bout des lèvres. Avec sa toilette élégante et simple, ses mains fines ét soignées, son profil d'archi duchesse, l'allure un peu majestueuse que lui ■ donnaient ses bandeaux noirs, elle ressemblait à une grande dame en visite chez de pauvres gens. Elle enleva lentement son chapeau, choisit sa place avec attention et de manda: — Où est Adèle? — C'est justement à cause de cette pe tite rosse que nous avions des mots, ré pondit la mère. Et elle expliqua la chose. — G'est (lu propre! déclara Julienne. Moi qui-venuiô lui -offrir une situation... — Vrai?....Oh! je ne cesse de le répé ter : tu es une fille, toi! tu aimes ta fa mille, au moins, toi ! tu penses à tes vieux parents, toi!... Tout émue, elle essuya une larme avec le coin de son tablier. — Et qu'est-ce que c'était, cette situa tion, dis,ma chérie? Une seconde fois la porte se rouvrit, et une belle créature de dix-sept ou dix-huit ans, en cheveux, le teint coloré par la ra pidité de sa course, la gorge haletante, s'é cria gaiement : —-Bonjour tout ie monde ! Sa joie fut courte. Le père, qui n'avait pas bougé jusque-là, s'avança vers elle et lui administra une maîtresse paire de gifles. — Attrape!... Pour t'apprendre à arri ver à l'heure... . Adèle se mit à sangloter. — Si on commence par la gifler, fit Ju lienne, ce n'est pas le moyen de la re mettre en bon chemin... Les brutalités ne servent à rien... qu'à aigrir le caractère. A dix-huit ans, on est assez raisonnable; pour comprendre les observations... Toute la famille écoutait respectueuse ment; le silence n'était interrompu quepar les hoquets de la victime. Enfin l'aînée prit la cadette parle cou et l'embrassa; elle lui essuya les yeux, la fit asseoir près d'elle et le déjeuner commença. Au bout d'un instant, Julienne reprit doucement, avec l'intonation protectrice et doctorale des gens qui , donnent de bons conseils et font de la morale, par habitude : — Ma chère Adèle, j'ai appris tout à l'heure que tu continuais ,à fréquenter M. Isidore. Je ne te ferai pas de reproches; je te dirai seulement que tu as tort... Papa et maman que voilà n'ont pas fait une belle fille comme toi pour les messieurs Isi dore... — Mais je l'aime honnêtement... et lui aussi, puisqu'il veut m'épouser... — Les hommes disent toujours ça, d'a bord; tu le sauras plus tard... Et puis, quand cela serait, voilà-t-il pas une posi tion, d'être la femme de Zidore, comme dit maman? Une femme d'ouvrier, nne ouvrière, avec dix heures de travail par jour, mal payée, des mioches dans tous les coins... ïl faut les élever, ça coûte cher... et pendant ce temps-là tu n'auras pas eu une journée de bonne, tu te seras éreintée, tu n'auras joui de rien.-. Adieu la co quetterie, les robes, les chapeaux et les bijoux!... Tu es pauvre et tu resteras pauvre ! — C'est que je l'aime tant, mon Zizi! — Oui, oui... c'est là le chiendent... l'a mour, quand ça vous prend!... Ainsi, moi, l'année dernière... j'avais rencontré sous la porte cochère un garçon boucher, un chérubj n, un J ésus... La mère s'inquiéta; Julienne s'aperçut qu'elle s'égarait. — Enfin ça ne nous regarde pas... C'é tait une voisine qui... Tout ça,c'est pour te dire... Elle n' en sortait pas. — Mais sais-tu ce qu'on prétend? in terrompit Adèle.Onprétend quelesfemmes entretenues finissent à l'hôpital... — C'est de l'histoire ancienne, ça ! On disait la même chose des artistes... Mais plus maintenant. Tiens, regarde!... Elle étalait ses doigts, montrait ses bras, son cou, chargés de bagues, de bracelets, de colliers. * — Tu vois, j'ai une petite fortune sur moi... et dans mon coffre-fort, faut voir! Le père et la mère en bavaient ! ' Et dire que c'étaient eux qui avaient mis au monde cette perfection, ce trésor, cette merveille ! Adèle flottait. — 1111e tient qu'à toi d'en avoir autant, poursuivait la maîtresse du comte... — Voyons ! appuyait la mère : écoute ta bonne sœur, Dédèle... Pense un peu à nous, à notre avenir... Nous nous retirons à la campagne; tu achètes un château, nous le gardons pendant l'hiver, nous sur veillons lés domestiques, Julienne et toi vous.venez y passer la belle saison... et plus tard, ce sera votre retraite, vous y serez comme des dames, vous irez à la messe... Ce ne serait donc pas gentil? A ce moment, le bruit d'une voiture stopa devant la porte. C'était le coupé de la cocotte. . — Et tu aurais aussi ton équipage... Ah ! pouvoir satisfaire tous ses caprices, situ savais comme c'est agréable!... Tu...

À propos

Fondé en 1884 par Aurélien Scholl et Valentin Simond, L’Écho de Paris était un grand quotidien catholique et conservateur. Il était sous la coupe financière du célèbre homme d'affaires Edmond Blanc, propriétaire notamment de plusieurs casinos et hôtels de luxe à Monte-Carlo.

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