Extrait du journal
LES MAINS FROIDES / Le père est malade. Il se tient recroque villé sur une chaise. La phtisie le mine et la fièvre brûle au creux de ses aisselles et de ses tempes. Chaud et soif, il ne con naît plus que cela. L'hiver est long. Toujours entendre tousser, c'est bien monotone,.bien agaçant pour la famille ; mais on se fait à tout. Et la mère et les six filles par rang de taille, quand le père tousse, n'ont plus l'air d'entendre. La mère pense à ce qu'elle deviendra ; avec ses six filles. L'hiver est long. , La journée se passe encore, mais les soirées n'en finissent-pas. Un crépuscule mol ouate et enlinceule la chambre, car le père ne supporte pas la lumière : elle le fait paraître trop pâle. Vers cinq heures, la fièvre redouble ; alors, quand les pas allant et venant, de la famille, quand les robes des sept femmes grandes et petites $pt convergé vers lui, le malade dit •' , Sl—Vos mains 1 Elles sont froides, toutes ces mains, car l'hiver est long. Et d'abord l'épouse, comme il sied, pose ses paumes sur le front qui brûle et le rafraîchit d'un con tact glacé. Mais bientôt elles tiédissent, ces paumes de femme, tant le front brûle ; et la voix triste implore encore : — Vos mains ! Les six filles par rang de taille appli quent, l'une après l'autre, leurs mains froides sur le front du père. C'est d'abord Elisa l'aînée, qui a seize ans ; puis, se suivant de deux à trois années, Berthe la rousse, Jeanne un peu bossue, Marguerite toujours gaie, Claude qui pleurniche, et la toute petite Madeleine. Le père ne se blase pas; c'est si bon ces mains de neige ; mais les six filles en ont assez, de venir ainsi par rang do taille. D'abord, ç'avait été un jeu, très inno cent. Elles en inventèrent un autre, car il taut bien distraire le père. Elles exigent maintenant qu'il ferme les yeux et qu'il devine. A reconnaître les mains, fermes et un peu lourdes de sa femme, longues et un peu dures d'Elisa l'aînée qui a seize ans, son mérite n'est pas grand. Mais on peut se tromper entre les mains de Berthe et de Margot, entre les mains de Jeanne qu'il appelle Jean et celles de Claude. .Quant à la petite Madeleine, ou Madinette, toujours, toujours il reconnaît ses mains, car elles sont douces et froides comme les feuilles mortes restées long temps à terre : Madinette est délicate. Mais toutes, hélas ! sont délicates, et elles boivent de l'huile de foie de morue. Pour n'y pas penser, le père se bouche plus fort les yeux et les oreilles, et dans la nuit de son âme, prolonge, autant qu'il peut, le jeu innocent. Parfois il feint de se tromper, il cher che et jette un nom au hasard: mais en lui-même il sait bien à qui appartiennent ces paumes ; il les connaît tellement ! Celles de sa femme pèsent un peu lourd, Elisa, l'ainée, les a dures, celles de Ber the ressemblent à de la soie, Margot qui rit n'appuie pas fort, Jeanne qu'il ap pelle Jean a le tissu moite, Claude qui pleurniche est gonflée d'engelures. Et pourtant il feint de se tromper ! -Mais quand adhèrent à son front qui...
À propos
Fondé en 1884 par Aurélien Scholl et Valentin Simond, L’Écho de Paris était un grand quotidien catholique et conservateur. Il était sous la coupe financière du célèbre homme d'affaires Edmond Blanc, propriétaire notamment de plusieurs casinos et hôtels de luxe à Monte-Carlo.
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