Extrait du journal

Je croyais que ce pèlerinage vers la maison et les champs où avait joué, ri, rêvé déjà, m^ toute petite enfance et mon adolescence aussi, me serait une douceur ; je pensais bien que j'éprouverais de la mélancolie à revoir, après tant de jours, après tant d'efforts et de désillusions, après la vie hélas I le coin de terre où j'a vais tant espéré, mais cette mélancolie elle-même neseraitpas exempte de charme; et ce fut en souriant qu'à travers les vieux ^quartiers de la ville, revue en les hasards d'un voyage, je m'acheminai, seul, ayant laissé mes compagnons de route, vers la banlieue, où mon père, tout eh haut de la côte, avâit eu sa demeure. Peu à peu, je cessai de sourire, à mesure que je reconnaissais plus net tement cette rue et cette autre rue, cette boutique, plus loin ce hangar où l'on re mise des charrettes, et le triste canal im mobile comme du temps qui ne passerait pas, et la route montante entre les petites maisons basses, entre les maisons d'autre fois, avec les mêmes volets blanchâ tres, mi-clos à la chaleur de midi; elles avaient l'air de me regarder, les paupiè res rapprochées dans la langueur de la sieste, elles auraient voulu, me semblaitil, que je fusse pareil à l'enfant de jadis, puisqu'elles n'avaient pas changé ; et leurs lézardes antiques, à peine élargies, s'étonnaient de mes récentes rides. La lon gévité des choses, si peu durables pour tant, fait reproche à l'humanité plus brève; les pierres qui ne sont pas écroulées en core sont fâchées de voir l'ancien hôte si courbé déjà. Je continuai mon chemin, je ne souriais plus. Un cabaret, avec son enseigne peinte où deux « tourlourous » reçoivent dans leurs chopes levées la mousse de la bière de mars (certainement on a repeint l'en seigne, car elle semble neuve) aurait dû, m'induire en gaieté ; c'est à l'une de ces tables, sous l'étroite tonnelle, que j'avais tant de fois, petit homme, les dimanches, bu du vin blanc nouveau, doux et sûr à la fois, grâce aux libéralités d'un oncle qui, chaque samedi soir, si j'avais eu de bon nes notes, me donnait une pièce de dix spus ; et je ne regagnais pas la route, sans rire et tituber un peu, à cause de ce diable do vin qui vous chatouille et vous secoue de la nuque à la plante des pieds. Puis, avec quelques compagnons de mes puériles débauches, je courais à tra vers les champs de maïs heurtant terri blement leurs grappes dures, et il nous arrivait de grimper aux arbres de la plaine, d'où s'envolaient, avec les char donnerets effarés,, des feuilles, oiseaux aussi, mais qui se posaient vite. Pour quoi donc le considérai-je sans joie, le cabaret d'où je sortais si joyeux ? Hélas l que cela est triste, d'avoir été si content, et comme on est plus vieux d'avoir été si jeune. J'aperçus enfin, au sommet du chemin montant, la maison qui fut la mienne. Dans le pays on l'appelait le château d'Ar doise, à cause de sa toiture gris bleu où s'allument des paillettes ; ma mère, un {>eu fière d'être châtelaine, et ravie de 'allée tournante où rosissaient par mil liers des roses de Bengale, préférait qu'on appelât son logis le Château des Rosiers. J'eus un plaisir I Au-dessus de la grille rouillée, enorgueillie d'un fronton de cuivre flambant, ces mots étaient écrits sur une longue planche : « Campagne du lycée;» et la vieille femme qui vint m'ouvrir quand j'eus tiré cinq ou six fois la sonnette, — dont je reconnus le son I — m'expliqua que les élèves du lycée de la ville venaient deux fois la semaine courir et jouer sur la pelouse derrière la maison. Il y avait là des balançoires, des trapèzes, des anneaux remuant au bout de longues cordes. Tant mieux l je trou vais charmant qua le lieu de mes...