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L’Écho de Paris, 22 janvier 1892

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L’Écho de Paris
22 janvier 1892


Extrait du journal

Deux oiseaux, un seul nid Parce que Madeleine était un peu ma lade, je faillis devenir fou de peine. — Allons, allons, dit elle, ne vous alar mez point tant; et apprenez la cause de mes souffrances, qui, d'ailleurs, durent peu, et s'achèvent en de fort aimables dé lices. Elle réfléchit, elle dit : — Autrefois j'avais un cœur. Je lui dis: — Hélas ! qu'on fîtes vous ? : — Rien du tout, dit-elle. Mais mainte nant, j'en ai deux. — Deux cœurs à vous seule? • — Ehî.oui, dit-elle; le mien et le vôtre. Allez-vous vous plaindre, parce que j'ai mis à côté de mon cœur votre cœur sous celui, précisément, de mes deux seins de qui la rose pointe est la plus chère à vos lèvres, et à vos dents? — Ah ! je ne me plains de rien ! avouai^je. — Vous aveï; bien raison. Or, ayant en moi ces deux cœurs, il arrive que l'un, jaloux, cruel, excessif (c'est le vôtre, mon sieur!) cherche querelle à l'autre, qui n'est pas toujours aussi résigné qu'il fau drait. De là des batailles qui ne laissent pas que d'être cruelles en une poitrine de jeune femme. — Hélas! Madeleine! — Mais ne me jugez pas trop malheu reuse, je vous prie ! Car souvent aussi ces deux cœurs sont d'accord à tel point qu'il me semble vraiment qu'ils n'en font qu'un, et je connais des ravissements sans pareils à sentir notre double vie si mêler et se fondre et se pâmer en moi ! VI Les présents impossibles J'ai dit à Madeleine : — Quand tu ne m'aimeras plus, donnemoi, sans paroles, une rose défleurié; et je comprendrai qu'il est temps, que je meure. — A la bonne heure ! dit-elle ; si je cesse de vous aimer, je vous donnerai une rose défleurie. ' * Mais je repris : . — Il se pourrait qu'étourdie, tu m'offris ses un jour, sans penser à mal, une rose défleurie ; ajoute au triste présent de la fleur une colombe morte, et je compren drai qu'il est temps que je meure. — J'en tombe d'accord, dit-elle; si je cesse de vous aimer, je vous donnerai, en même temps que la triste rose, une co lombe défunte. Mais je repris : — Je crains que frivole comme tu l'es, tu t'avises un jour, de me donner, sans penser à mal,.une rose délleurie et une colombe-morte. Jetiensà éviter les cruels malentendus du hasard!, et pour que je sois bien sur de mon désastre avant d'y succomber, daigne, quand ta ne m'aime ras plus, me donner avec la rose flétrie et la colombe .trépassée, un rayon de soleil, éteint ! — J'y consens bien volontiers, dit-elle ; si je cesse de vous aimer, je vous donne rai, en même, temps que la pâle fleur et l'inerte oiseau, un rayon de soleil, mort aussi. Que de jours j'ai vécu dans l'angoisse de recevoir les sinistres présents ! Mais depuis ce matin, je suis aussi heureux qu'on le peut être sur la terre ; car, dans les journaux les mieux informés, j'ai lu que, par un nouveau décret des célestes Providences, les roses ne se faneront ja mais plus, et jamais plus ne mourront les colombes, et jamais plus ne s'étein dra le soleil à l'horizon crépusculaire !...

À propos

Fondé en 1884 par Aurélien Scholl et Valentin Simond, L’Écho de Paris était un grand quotidien catholique et conservateur. Il était sous la coupe financière du célèbre homme d'affaires Edmond Blanc, propriétaire notamment de plusieurs casinos et hôtels de luxe à Monte-Carlo.

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