Extrait du journal
d%ui. Et voici une note de. M. Dubois à Lamartine qui constitues à mon sens, le témoignage ''décisif : « Vous comprenez très bien les affai res, hd écrivait ce sage et fidèle ami, les petites affaires comme les grandes, et vous avez un tel besoin d'activité et d'action quelconque que vous voulez et aimez faire tout par vous-même. Mais vous n'êtes pas et ne pouvez être au courant des détails, /prix, conditions, accessoires. On dirait que votre nature prodigieuse ne compte pas avec les sou cis et les difficultés et qu'elle a besoin d'y vivre en se jouant. Cependant l'âge arrive et je crois qu'il serait nécessaire d'assurer l'avenir, tant pour les vôtres que pour vous-même. Il vous faut a peu près cent mille francs, ou au moins quatre-vingt mille par an. Il faut donc les assurer et les constituer viagèrement. Vous garderez Saint-Point, bien entendu, pour y vieillir et mourir près du tombeau des vôtres. Si Monceaux et Milly sont un sacrifice pénible à faire, il sera compensé par bien des embarras et charqes de moins. Vous respecterez votre viager comme ïune arche sainte dans son emploi, et quant aux trésors que vous pourrez .tirer de ..votre écritoire ou autrement, je les abandonne à votre fantaisie, je veux dire à votre libéralité et à votre charité inépuisa bles. » Après celte lettre, quand M. Dubois se présenta à Saint-Point, le premier mot de son illustre ami fut : — Vous m'avez blessé et humilié, laissez-moi... Le .bon M. Dubois, atterré, se retira silencieusement et monta chez l'un des hôtes du château pour lui .faire ses adieux. Aussi tôt' il y était rejoint par le poète qui, lui tendant la main : — Mon cher Dubois, j'apprends que vous partez. Si vous< avez à faire je ne puis m'y opposer, mais pas avant de déjeuner, je vous en prie. Le fidèle ami saisit avec émotion la main qui «e tendait, tout heureux d'a voir été pardonné. Le génie ne voulait pas être sauvé, mais le bon sens venait de parler. Cet excellent M. Dubois n'était pas seule ment un homme d'affaires très avisé, mais,encore un parfait psychologue. 11 indique là très finement comment le poète s'était mis dans cette mauvaise, situation, : par désœuvrement, par be soin d'activité, par goût du jeu.. . Le jeu ! voilà le grand mot qui nous mène au centre du problème. Les em barras de Lamartine s'expliquent par une cause psychologique constante. Il est un joueur. Dans sa jeunesse, il aimait les cartes, et bien souvent sa mère, avec son iné puisable indulgence, dut s'ingénier pour le tirer d'embarras. Plus tard il a couru les risques de la politique avec une impatience que Victor Cousin discernait dès le début, quand il disait dans une formule pittoresque : « Il brûle de se compromettre. » De tout temps il a .prodigué son argent, sa pa role, ses écrits, son génie, ses heures, avec une magnifique énergie d'espé rance. Il prenait les réalités du présent, leur joignait les promesses de l'avenir, les escomptait et poussait l'optimisme jusqu'à, la présomption. Il -avait ' foi dans la plus folie destinée. « Il aime à tenter l'inconnu, disait avec admiration Alexandre'. Il sent sa force et il croit à Dieu dans ce jeu de révolution. » Lisez : il- croit à sa veine. Il adorait le risque et achetait fort cher des pages d'an nonces dans les journaux pour lancer ses œuvres. Ses amis gémissaient au tour de lui et disaient qu'il jouait sa fortune sur le tapis vert de l'annonce. Même plainte au sujet de ses spécula tions sur les vignes, - et même expres sion; autour de lui on définissait les vignes « un tapis vert où l'on perd tou jours ». Sa femme fait cette remarque saisissante : « Pour lui, la réalité dis paraît toujours sous les perspectives idéales, et lorsque la vraie situation se révèle, c'est un éclair qui précède à peine la foudre. » N'est-ce pas l'exacte définition desi catastrophes qui arrivent aux personnes qui mettent leur confian ce dans le baccara ? Nul ne prend sa retraite, sinon au cimetière. Lamartine a toujours besoin d'être ému. Il accepterait de mourir, il le souhaite peut-être ;• mais tant qu'il respire, il obéit au rythme de son cœur, jamais .plus à l'aise que dans l'émotion. Quand un homme a connu l'attente au pied de la tribune, le rayonnement de son âme sur une assemblée, l'applau dissement de ses adversaires ; quand il a éprouvé l'excitation d'affronter la mort sous les yeux de tous pour une noble cause et qu'il s'est enivré des amertumes mêmes de l'impopularité, eh bien ! chaque fois que la vie reforme son flot dans ses veines, il veut retour ner au combat, au péril, à l'effort, aux difficultés. Lamartine aimait sa détres se ; il la préférait à une vie médiocre qui l'eût soustrait à tout souci; il y trouvait les émotions du risque. Le risque, la lutte avec le hasard, l'appel à la chance (je crois qu'il aurait dit la sollicitation de Dieu), bref l'obéissance à son inspiration, voilà le secret pro fond de son être, voilà* son démon in térieur que nul traitement ne peut dompter. . Le retour à la terre n'a .pas guéri La martine. Vingt fois la plaie s'est cica trisée. Nul n'a mieux parlé du foyer, des vies simples, des humbles vertus ; il a écrit," sous l'influence de Milly, de Saint-Point et de Monceaux, des livres bienfaisants, telle son admirable His toire d'une servante, .pour, louer la rnodération des désirs et la fraternité des âmes ; à la campagne, son cœur trop dispersé, trop, infatué peut-être,' s'est ramassé, concentré," incliné devant le gènïus loci, maïs il n'à pas pris un sen timent réaliste dû monde. Qui de nous osërait trop s'en plaindre? 0 sainte"...
À propos
Fondé en 1884 par Aurélien Scholl et Valentin Simond, L’Écho de Paris était un grand quotidien catholique et conservateur. Il était sous la coupe financière du célèbre homme d'affaires Edmond Blanc, propriétaire notamment de plusieurs casinos et hôtels de luxe à Monte-Carlo.
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