Extrait du journal
On commence à s'occuper du 14 Juillet. La fête nationale a perdu de ses splen deurs primitives. L'accoutumance nous tend tout familier et nous ne reverrons sans doute jamais l'anniversaire répu blicain célébré avec l'enthousiasme qui marqua les premières fêtes. A celles-ci, qui furent vraiment extraordinaires d'en train, a succédé une journée officielle, qui ne diffère pas sensiblement des journées abolies du 15 Août impérial, ce qui est matière à réflexions faciles pour les phi losophes. Mais la date du 14 Juillet, qui, pour beaucoup de Parisiens, donne le si gnal du départ pour la campagne ou les Bords de la mer, n'en est pas moins une date fort intéressante pour nombre de gens. C'est le 14 Juillet que le gouverne ment procède à la distribution semestrielle des décorations et des rubans de couleurs variées. Et malgré le dédain qu'on affecte pour ces hochets, quand on les possède ou qu'il est impossible de les solliciter avec chance de succès, les compétitions sont nombreuses et les espérances passionnées. H n'est pas jusqu'à l'humble ruban d'Aca démie, modeste comme la violette dont il a la couleur, qui ne soit recherché avec une ardeur incroyable. Le ministre, pour se défendre et pour défendre un peu le prestige de l'ordre universitaire, a déjà fait répandre le bruit qu'on ne donnerait de rubans qu'aux professeurs et institu teurs. Mais je parierais bien que quelques chanteurs et chanteuses, industriels et photographes, figureront parmi les élus... Notre goût des distinctions honorifiques passe volontiers pour être une marque de vanité et de légèreté de nos esprits. Un ruban ! disent les sages moroses, la belle affaire 1 Sommes-nous des sauvages pour nous orner d'affiquets pareils ? La valeur d'un homme se peut-elle mesurer à des signes distinctifs qui, trop souvent, ont pu tromper sur le mérite de qui les porte? —J'avoue franchement que j e ne partage pas cette indifférence ou cette superbe et que je blâme même les formules hypocrites si à la mode en cette matière. Les décorés et décorables ont coutume de dire qu'ils ont souhaité ou souhaitent le ruban parce que ça fait plaisir aux femmes, que c'est commode en voyage, r}ue ça rend les sergents de ville polis ; bref, ils s'ingénient à diminuer la valeur moraledela croix. Pour moi,j'avoue loyalement que je suis très respectueux de la décoration parce que, à de tristes et ra res exceptions près, c'est une affaire qu'on n'obtient pas par l'argent. Une récompense nationale, qui ne rapporte rien à celui qui . la reçoit, c'est encore à peu près le seul contrepoids qui vienne contrebalancer l'impertinente et nocive omnipotence de la fortune. Quand je vois un stérile rentier, un boursier hasardsux, un usurier enrichi à de sales trafics, gens qui tiennent le haut du pavé, loucher sur le ruban ou la rosette qui décore l'habit, peu frais et peut-être impayé, d'un savant ou d'un artiste, je m'en sens satisfait. C'est donc sans hypo-. crisie que je souhaite de bon cœur que le gouvernement fasse de bons choix et ré compense de légitimes ambitions. Ce sera toujours une petite victoire du mérite sur les sacs d'écus! . Et puis, le 14 Juillet, il y.a autre chose encore. 11 y a les grâces, les remises de peines, qu'on a accoutumé d'accorder à cette date. Je ne saurais dire à quel point je souhaite que notre nouveau président, qui se trouve à son premier 14 Juillet, use avec largesse de sa prérogative. Le pré sident adore visiblement son métier. Il accepte avec joie une foule de devoirs
À propos
Fondé en 1884 par Aurélien Scholl et Valentin Simond, L’Écho de Paris était un grand quotidien catholique et conservateur. Il était sous la coupe financière du célèbre homme d'affaires Edmond Blanc, propriétaire notamment de plusieurs casinos et hôtels de luxe à Monte-Carlo.
