Extrait du journal

Le peintre Claustre, depuis trois jours, ne se retrouvait plus. On lui avait changé son âme. Ce brusque soleil, qui faisait rosir et gonfler de sève les arbres, le sub mergeait sous une chaude ivresse. Il éprouvait cet allégement qu'on a à s'ha biller de clair et de léger, à ne plus subir les lourds habits d'hiver. De même tous ses projets de travail, toutes ses suites d'idées, mille façons de sentir propres aux jours gris et froids, brusquement il venait de les dépouiller pour reprendre une âme tout autre, plus fluide et molle, de pa resse "et de rêve^ que de grands élans va gues traversaient en souffles tièdes : le besoin d'aimer surtout et la nostalgie des voyages ! La chaleur tardive, et d'autant plus vive du printemps, après les mois gris, noirs ou blancs de brume et de neige, le baignait comme un bain, trop chaud et l'épanouissait de bien-être. Un dégoût .pour son travail l'envahit jusqu'à la tris tesse. Sa longue chasteté de laborieux ar tiste s'éveilla du sommeil. Quand Rosinde..la belle juive qui lui servait de modèle, toute nue eût pris la pose, il s'a perçut pour la première fois qu'elle était femme, au blanc d'un linge qui voilait sa pudeur. Il songea au mystère des souf frances sacrées et à la grande Loi de vie qui subjugue les êtres. Rien d'impur ne se mêlait à ces réflexions; l'instinct seul parlait, et non purement brut, mais en veloppé de tendresse enfantine et de sen timentale rêverie. — Rhabillez-vous, dit-il à Rosinde, je ne travaillerai pas aujourd'hui. Une délicatesse lui faisait désirer voir la juive vêtue et, ayant perdu la banalité de ses formes impersonnelles de modèle, lui apparaître sous l'aspect spécial et in dividuel que son vêtement donne à la femme, à la Parisienne surtout. Quand Rosinde sortit de derrière le paravent, transfigurée, beaucoup plus fine et plus mince, en robe sombre et jaquette loutre serrée à la taille, Claustre, qui n'avait ja mais parlé d'amour à' cette fille, rougit comme un enfant et, le cœur gonflé, les doigts entrelacés et craquants, il la regarda avec des yeux de désir qui imploraient et un sourire bon et timide. — Comme vous me regardez drôle ment, fit-elle, qu'est-ce que vous avez? Il lui prit les mains qu'elle abandonna et chercha sa bouche qu'elle livra avec une bonne grâce spontanée et naturelle. — J'ai le printemps!... dit-Claustre. Le regard vague, fleurant bon la ver veine et la chair fraîche, comme soudain amollie, elle répondit •...