Extrait du journal

A Foix, à la réunion du nouveau Conseil municipal, le doyen d'âge, un cultivateur, présidant le Conseil pour l'élection du maire, se trouva dans l'im possibilité de donner lecture des articles de la loi de 1884, conformément au rè glement. Pourquoi ? Peut-être pensezvous qu'il était fortement enrhumé ou que l'émotion lui avait coupé la parole ? C'est plus simple que cela. Le doyen d'âge ne savait pas lire ! On peut donc être électeur sans sa voir lire ? Cela se sait. Et la voix de cet électeur compte autant, et a la mê me valeur que celle d'un académicien ? Mais certainement. C'est même la beauté, n'est-ce pas, du suffrage univer sel. Et on peut même être élu conseiller municipal sans savoir lire ? Vous le voyez. On peut même être élu député. Pour entrer à la Chambre comme gar çon de salle, il faut avoir son certificat d'études. Au député on ne demande rien. On suppose qu'il sait lire et écrire, mais on ne s'en est jamais assuré. Je ne» sais pas du tout à quel parti appartient le conseiller municipal illet tré de ■ Foix. Mais, qu'il soit ceci ou cela, j'avoue que je ne suis pas autre ment indigné qu'il ait été élu bien que ne sachant, pas lire. D'abord, n'est-ce pas, parce que de savoir lire n'empêche pas de faire des bêtises. Puis, il n'est pas très sûr que cette ignorance n'ait pas quelques avantages pour l'homme qui brigue une fonction publique. Cet hom me, en effet, ne saurait être influencé par les journaux. Il est insensible à la pression qu'exerce sur tant de gens» l'imprimé. Il est obligé de se faire une opinion par lui-même en causant avec les uns et les autres, en recueillant les avis divers, en observant ce qui se passe et en réfléchissant. Croyez-vous que l'opinion de cet homme ne soit pas plus précieuse que celle Que tant d'autres empruntent au journal qu'ils lisent ? Enfin, ce cultivateur qui ne. sait pas lire est-il pour cela un ignorant ? Il connaît bien des choses ! Il ne faut pro bablement pas lui en remontrer pour vendre sa récolte de blé; son lait et ses vaches. Il sait certainement tenir ses comptes, et je me doute qu'on ne doit guère pouvoir le tromper. Il con naît l'art de labourer, de semer, de planter, de tailler les arbres. Il sait soi gner le bétail. Il est familier avec le cours des saisons. Il suit la marche de la lune. Il distingue entre les vents.. II observe la formation des nuages et ne se trompe pas sur leur direction. Il lit dans les étoiles. Nous n'avons pas assez de ces illet trés, de ces cerveaux vierges qu'ha bitent peut-être de grandes pensées. Ne les chassons' pas de la République. Au contraire. Nous qui lisons beaucoup, et n'en sommes pas plus avancés, respec tons - les écoutons - les Demandons à l'Etat de les conserver et de les honorer. A ce doyen d'âge illettré, devenu conseiller municipal, pourquoi le gou vernement ne donnerait-il pas les pal mes académiques ? LE FBANC-PAELEUR....