Extrait du journal

Reims, 1914-1916. Chantez monstres, chantez le succès de vos armes, Encensez votre maître Empereur des Bourreaux, Dévastez et pillez, faites couler les larmes, Répandez en ruisseaux le sang de nos héros; Faites tonner l’airain, ouvrez vos cathédrales, Redressez vers les cieux vos fronts de conquérants : Le bruit des Te Deum couvrira-t-il les râles Et les cris de douleur des soldats expirants? Quand vous aurez clamé votre exécrable joie, En sondant l’avenir tout à coup dégrisés, Vous sentirez sur vous, comme un oiseau de proie S’abattre le remords... Monarques insensés Pourrez-vous contempler, semés sur votre route Le pillage et la mort, sans revoir en tous lieux Le spectre menaçant de la pâle déroute? Oserez-vous encor proclamer que de Dieu Vous êtes l’instrument, lorsqu’au cœur de la France S’élève, accusateur, le Sanctuaire en deuil, La Merveille de Reims, monument de souffrance; Lèverez-vous toujours le front avec orgueil? Puis lorsque de la nuit, déchirant la ténèbre, L’éclair de vos canons, illuminant les cieux Montrera le squelette imposant et funèbre De l’Eglise-Martyre : ô tyrans odieux ! En vain chercherez-vous au remords une trêve, Le repos vous fuira si près de vos méfaits Et si le sommeil vient, dans un tragique rêve, A vos yeux surgira l’horreur de vos forfaits. Vous verrez se dresser la Grande Mutilée, Montrant ses murs noircis, ses vieux porches croulants, Ses autels profanés et sa splendeur violée; Vous vous éveillerez effrayés et tremblants....