Extrait du journal

SANS PRÉJUGÉS A propos du mouvement administratif, M. Emmanuel Arène explique comment il se fait que les antichambres ministérielles sont toujours très encombrées: c’est qu’on n’y trouve pas seulement les amis et les partisans des ministres qui viennent solli citer des places pour leur clientèle ; on y rencontre, plus nombreux encore, les ad versaires du Cabinet. Puritains, très indépendants en séance ou dans les couloirs, et qui s’en viennent ensuite demander, comme la chose la plus naturelle du monde, leur sous-préfet, leur substitut ou une palme académique, ou un Mérite agricole. M. Arène, qui est un sceptique, nous livre néanmoins fort ingénument le secret des plus belles victoires ministérielles: les députés, ardemment sollicités par leurs comités, sollicitent avec non moins d’ar deur les ministres qu’ils maintiennent au pouvoir ; les bons comptes font toujours les bons amis. Les questions les plus graves sont ainsi maquignonnées : le député vote pour le ministère afin d’obtenir, en échange de ses complaisances, « un sous-préfet, un sub stitut, une palme académique ou un Mérite agricole ». Il ne suffit pas de demander ces choses, il faut les gagner, on les gagne en ayant bien soin de n’être ni puritain ni indépen dant, et on se tire d’affaire, pendant les vacances, en disant à ses électeurs: « Je suis toujours le libéral que vous avez connu, j’adore l’indépendance et l’esprit de justice ne me fait point défaut ; si j’ai toujours voté pour le ministère, c’est pour vous, pour votre bien, pour le succès de vos sol licitations. Les ministres savent que je n’ai rien à leur refuser, et c’est pourquoi j’ai pu obtenir une bourse pour le petit Barbanchu, le Mérite agricole pour le gros Gitrouillard, une place de substitut pour le fils à Gourgandine, et cœtera etcœtera. » Le ministère connaît bien les députés qui ont toujours un marché à négocier, une affaire à tenter, un échange à propo ser, un arrangement à conclure, c’est avec ces représentants de la mendicité qu’il as sure le vote des lois les plus impopulaires, les plus iniques et les plus mal faites. Les députés indépendants, qui ne veulent pas opérer comme des larrons en foire, ont néanmoins besoin du pouvoir pour leurs électeurs, et ils osent parfois se pré valoir de leur mandat pour chercher à rendre des services mérités. « Halte-là ! leur crie le député qui a trafi qué de son suffrage ; halte-là 1 Puisque vous ne votez pas toujours pour le Gouver nement, votre place n’est pas dans ses antichambres, le pouvoir ne doit rien à ceux qui ne font pas partie du Syndicat de la servilité mutuelle. » M. Arène, qui fut du Panama, entend...