Extrait du journal
J’aurais voulu que, pour ceux qui ne sont pas personnellement engagés dans la mêlée, les journées qui ont précédé le 11 mai aient été faites de recueille ment. Notre génération n’aura jamais connu semblable épreuve ; celle-ci dé passe l’intérêt des hommes, elle dépasse presque les idées ; il ne s’agit plus de savoir si triompheront les individus en qui nous avons confiance, les opinions qui nous sont chères. L’enjeu, c’est la dignité même de la personne humaine, c’est la grandeur d’un peuple dont la conscience a tant de fois donné le ton à la conscience universelle. Nous nous éveillerons le 12 mai exaltés ou salis. Les positions sont franches, et les plus prudents ont dû eux-mêmes abat tre leurs cartes. A cinq ans de distance, nos adversaires auront spéculé sur les deux mobiles les plus ignobles qui fas sent monter la boue dans l’âme des êtres complexes que, presque tous, nous sommes. Les élections de novembre 1919 avaient été les élections de la peur ; on voudrait que les élections de mai 1924 fussent celles de la corruption. Jamais l’oligarchie financière, qui, il y a dixans, cherchait à déshonorer un Caillaux, parce qu’il voulait lui barrer la route, n’avait manifesté sa puissance avec une aussi cynique désinvolture. Elle était, alors encore contenue dans le cadre de l’Etat ; aujourd’hui, elle déborde ce cadre. Trouvant des com plices jusque dans le gouvernement*, elle s’est mise au-dessus de la loi. Der rière un rideau de légalité, une révolution s’est opérée, dont l’homme moyen, serf de son travail quotidien, n’a pas encore aperçu tous les effets. L’excuse de cette oligarchie pourrait être que te progrès ne subit pas d’entra ves, qu’il crée, comme la nature, comme il lui plaît et par les moyens qu’il lui plaît. Mais non ! Ces gens n’ont, depuis la guerre, été générateurs ni de richesse, ni de santé, ni de beauté. Ils ont fait leur fortune non en multi pliant, mais en raréfiant. Le coup de force qu’appelle leur action pourrait les emporter sans que le pays perde un bras ou son cerveau. La spéculation est leur seule arme économique, comme la calomnie est leur seule arme politique. Ils empoisonnent, dans nos sociétés mo dernes. jusqu’aux sources de la vie ; ils gangrènent le Parlement et la presse, abêtissent une opinion dont le sens cri tique était, jadis, sans égal. La révolte que nous souhaitons, qui sera triomphante aujourd’hui, nous voudrions qu’elle parte non seulement de la masse, des muititudes atones que hante le souci du pain de chaque jour, ou d’une existence simplement décente, mais de l’élite aussi. Nous voyons figu rer, avec joie et fierté, sur les listes de gauche, des candidats spécialement mandatés par la démocratie ouvrière. Nous estimons qu’un pays où les travail leurs manuels se désintéressent de la chose publique est déjà condamné, et...
À propos
L’Ère nouvelle a été fondée en décembre 1919 par deux socialistes déterminés, blessés de guerre : Yvon Delbos (1885-1956) et Gaston Vidal (1888-1949). Elle se définit en se sous-titrant « L’Organe de l’entente des gauches », et restera tout au long de son existence proche du parti radical. Malgré son faible tirage, le journal exerçait une influence importante dans le monde parlementaire.
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