Extrait du journal
Le livre est précédé d’une dédicace au célèbre romancier Ferez Galdos, suivi d’une adresse de remerciement à un ami de l’auteur. Enrique Amado. I une et l’autre d’une modes tie certainement sincère. L’inexpérience de l’écrivain se trahit en effet à quelque embarras dans le choix du détail et une perspective un peu confuse, les personnages présentés de biais, dans un jour indistinct et un relief dégradé qui ne laisse deviner que par le progrès du récit les traits de leurs figures et de leurs caractères. Mais, outre qu’il ne fallait aucune précaution oratoire à la déposition d’un témoin, cette discrétion effacée, ce chuchotement du style, n’est-ce pas le ton de la maison, le langage de circonstances ? Un livre sur les jésuites, pour ressembler à ces religieux rompus de discipline, doit comme eux éviter les éclats de voix- imiter la soumission des dos courbés sous les robes noires, des longues manches croisées sur la poitrine, repousser comme une tentation l’élégance, comme un indice de ré bellion un accent personnel. Il n en devient que plus pathétique, lorsqu’il rapporte avec la même simplicité que les menus incidents de la propagande ou de l’enseignement quotidien les graves événements qui soudain se précipitent, comme le suicide de l’ingénieur Villamor, qui croit sa femme gagnée à la religion catholique par une coupable tendresse, ou la mort du petit Coste, mis au cachot d'où il s évade pour errer au hasard, ignorant le pays, dans la nuit sans secours, priant la ^ ierge pour se délivrer de cette chanson impie qui lui tinte aux oreilles. « 11 concentra les faibles forces qui lui restaient ; il se leva, fit deux pas, et tomba du haut de l’escarpement dans la mer en furie. Sur un pic aigu sa tête s ouvrit, et il perdit la vie, non sans avoir murmuré dans un souffle faible et mince : « Ne m abandonne pas, ma ... » Son crime était un propos étourdi, à 1 entrée d’une récréation où l’on remarquait l’absence du Père Segueros ; « Il doit faire la sieste avec sa petite Anglaise. » En un collège des jésuites, les paroles ne s’évanouissent pas dans l’air. Celles-ci. par un chemin détourné mais sûr, parvenaient le jour même à la connaissance du Préfet des études. J’ai connu, moi aussi, un Préfet des études, non pas chez les jésuites, mais les marianistes du collège Stanislas, dont l’organisation est analogue. C’était un jeune religieux d’esprit ouvert et de conversation fort agréable, mais dans l’exercice de ses fonctions, d’une rigueur sans merci. Je ne suis donc pas surpris qu’en ce collège espagnol, le Père Erana, surnommé Lapin, et dans la vie ordinaire plutôt jovial et facétieux, condamne le coupable au pain et à l’eau dans une cellule close, d’autant que la plaisanterie touchait juste, le Père Segureos venant, lui aussi, d’être consigné en sa chambre par le Supérieur du collège, à qui l’on avait rapporté quelques mots dénonçant un intérêt trop vif pour la belle R ut h, l’épouse hérétique de Villamor. Si vraiment, à la veille du baptême, le Père et sa néophyte se serraient les mains avec effusion, comme l’affirme le narrateur, échan geant des regards complices et riant de leur joie partagée, si le Père, au lieu de l’interro ger sur le catéchisme, écoutait Ruth lui décrire sa robe du lendemain, et lui affirmait que sous le blanc et le noir, couleurs seyantes entre toutes, elle ressemblerait à un ange, pendant qu’elle rougissait de plaisir au compliment, comme une fiancée, je ne trouve pas le châti ment immérité, ni la jalousie du mari sans motif. Ruth atterrée devant le corps inanimé du malheureux proteste vainement qu’elle ne l’a pas trahi, et le Père a observé, lui aussi, le vœu de chasteté. Mais le péché, ils 1 avaient tous deux commis en leur cœur, et le scandale menaçait. Plutôt je m’étonnerais de l’impru dence à charger d’une aussi délicate conversion le Père Segueros, qui est beau- sympathique, ardent, de bonne compagnie. Mais l’auteur explique fort bien qu’on ne s’y est résolu qu’à la dernière extrémité, après avoir mis à l’épreuve d’autres prêcheurs moins dangereux, parce que Ruth entend mal l’espagnol, et que le Père Segueros est seul capable de s’entre tenir avec elle en français. Après ces incidents dramatiques, presque aussitôt ensevelis dans le silence, la vie du collège continue son cours régulier, d’une mo notonie implacable, jusqu’au jour où le petit Bertuco, révolté et terrifié par une punition injuste, tombe malade au point qu’on le retire du collège. L’un des Pères, que l’on persécute parce qu’il est plus instruit et plus intelligent que les autres, part avec lui, heureux de respirer, hors des murs, l’air du matin prin tanier et fleuri, rendant grâces à Dieu pour les beautés de la nature. Je suppose que ce Père Atienza trouvera, comme Ruth après son malheur, un refuge dans la demeure rustique du sage Gonzalfanes, qu’il pourra s’il lui plaît y écrire un livre sur ce qu’il a observé durant son temps de servitude, et le terminer par une attestation pareille à celle de Ramon Ferez de Ayala en faveur de son ami Enrique Amado : « Chênes pacifiants, doux champs de maïs, coteaux revêtus de vignes ! Si sous cette docte tutelle je n’ai pas mis fin à une entre prise de plus haut prix- la faute en est à ma faiblesse, mais non pas à mon intention ni à ta diligence. » La traduction de M. Jean Cassou me paraît excellente, d’une langue élégante et solide....
À propos
L’Ère nouvelle a été fondée en décembre 1919 par deux socialistes déterminés, blessés de guerre : Yvon Delbos (1885-1956) et Gaston Vidal (1888-1949). Elle se définit en se sous-titrant « L’Organe de l’entente des gauches », et restera tout au long de son existence proche du parti radical. Malgré son faible tirage, le journal exerçait une influence importante dans le monde parlementaire.
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