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Les Lettres françaises, 6 novembre 1947

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Les Lettres françaises
6 novembre 1947


Extrait du journal

J' APPARTIENS — c'est l'honneup de ma vie — à je ne sais plus quel Comité national de jet. collecte qui tint une séance inaugurale et solennelle et disparut tout aussitôt dans la fosse commune des 1 velleïtés gouvernementales. Nous siégeâmes dans une salle du Conseil ' d'Etat ; les plafonds encombrés d'urnes symétriques étaient par surcroît couverts de peintures : le Droit réconciliant la Prévoyance et l'Agriculture, la Force — une femme nue -' imposant à la Fourberie — un homme nu et cornu — le respect des Lois — plusieurs androgynes accroupis, sur un matelas de nuages. Si ce n'était pas ces motifs-là, c'en étaient d'autres tout aussi instructifs. Le mobilier datait de la monarchie censitaire : les godets à sable, antérieurs à l'invention ultra-mod'erne du papier buvard, étaient encore incrustés dans le bois des pupitres. Je figurais parmi les représentants d'une élite, mobilisée pour provoquer l'abondance par ses prières au ciel et ses objurgations aux campagnards. Il y avait là des présidents de toutes sortes, des académiciens, des évêques, dé généraux e\ derrière la tribune, des ministrès ; l'un, avec ses oreilles décollées, rappelait Philippe Henriot ; il ne dit mot ; l'autre, un sage petit jeune homme qui, depuis la libération, régnait sur le blé qu'en désespoir de cause il nous 'laissait le soin de faire pousser, n'en dit pas davantage. Seul parla Ramadier. Méphistophélès en redingote, satyre bon enfant, avec son bouc, ses sourcils circonflexes, ses mains qu'il frottait benoîtement l'une contre l'autre d'un geste de curé ou de chef de rayon, son bedon, ses phrases phraseuses, ses politesses aux académiciens, au généraux, aux popes, aux ministres du Gouvernement Provisoire. Dans cette salle d'autrefois, tremblait une poussière d'histoire. On aurait dit une fidèle reconstitution, par un cinéaste soviétique, de la dernière séance de la Douma, avec l'artiste émérite Ramadier dans le rôle de Rodzianko. A tout instant, je m'amendais à l'irruption des marins criant gaiement et cassant — enfin ! les carreaux....
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À propos

Organe du Comité national des écrivains, Les Lettres françaises est un hebdomadaire français culturel fondé clandestinement en 1942 sous l'Occupation par les écrivains Jacques Decour et Jean Paulhan. S'élevant contre le régime de Vichy, le titre a pu bénéficier de la collaboration de nombreux artistes comme Raymond Queneau, François Mauriac ou Louis Aragon, qui en deviendra rédacteur en chef en 1953 avec le soutien financier du Parti communiste.

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