Extrait du journal

FAUT-IL vous l’avouer, Monsieur ? Quand j’ai lu pour la première fois le mot « guerre froide » dans les journaux, j’ai haussé les épaules comme devant une mauvaise blague. C’était au début de 1947, je crois, peut-être même un peu plus tôt. Il était vraiment impossible die prendre cela au sérieux. Je venais d’être rengagé par mon ancien patron, j’ai oublié de vous dire que je travaillais déjà, avant la guerre, dans la grande boutique de coiffure au coin de>l’Hôtel Lutetia. Je n’avais pas récupéré mon petit appartement que ma femme et moi avions abandonné en 1940, lors de l’exode. Nous étions donc obligés, Monsieur, de loger chez ma belle-mère. C’est une femme charmante, si vous voulez,'mais qui est grincheuse comme toutes les . vieilles gens et qui a ses petites manies. Elle en a une, désagréable entre toutes, de me rendre personnellement responsable die l’occupation, du rationnement, de la présence des communistes au gouvernement, de la surface corrigée et de tous les maux imaginaires ou réels dont elle s’entretient avec les voisines. Mais là n’est pas la question. Je voulais vous dire que nous n’avions pas encore organisé notre vie, que le souvenir des années de misère et de la mort de notre petit Georges pesait encore sur nous et que nous devrions, pour ainsi dire, repartir à zéro....