Extrait du journal

Avant de se mettre en route, le voyageur' qui va vers un but lointain, s'oriente sur la carte, autant que le lui permet sa connaissance du pays. Il marque à grands traits les étapes qu'il doit pareourirv et d'avance il s'enchante lui-même de la beauté de la ville où: il veut se fixer enfin. Si même il est poète, et animé de cette sorte de souffle véhément et fort qui soulève dans la Bible l'esprit des prophètes, il célèbre en hymnes passionnés la cité où vit déjà son espoir. Mais, dès qu'il est en chemin, il a à lutter contre les difficultés sans nombre, contre l'ardeur désolée des jours arides, contre les incertitudes et les pièges des nuits. Il faut qu'il se fraye un passage à travers la sombre ramure enchevêtrée de la forêt épineuse et hostile, qu'il soit en garde contre les surprises des bandes ennemies ou des bêtes de proie. Et si des indifférents le rencontrent, tout absorbé par cet effort, ils se moquent et lui disent « Qu'est devenu ton enthousiasme joyeux de la première heure? Et qui trouverait encore sur ton visage et celui de tes compagnons, le reflet de la merveilleuse cité toute illuminée de justice où ta pensée devançait tes pas ? » Mais lui, continuant son chemin et son effort, se borne à répondre «Suis-je bien dans la direction de la cité espérée, et ai-je diminué la distance qui m'en sépare ? » Ainsi dira le prolétariat socialiste, en marche vers la, grande cité d'égalité fraternelle. L'idée en est toujours présente à son esprit. Il n'en connaît pas l'aménagement minutieux il ne sait pas les noms de ses rues et les numéros de ses maisons. Mais il sait qu'elle n'est plus fondée sur le privilège d'une classe, sur la misère et la servitude, d'une autre. Il sait que la propriété, affranchie du mode capitaliste tyrannique et étroit, y assure, sous la forme collective et sociale, le libre développement de tous les individus. Il sait que Puniverselle association des travailleurs y absorbe l'esclavage des salariés, la domination des possédants. Il sait cela, et c'est cette certitude profonde qui le soutient à travers les difficultés et les périls. Mais il ne rêve plus maintenant il marche. II ne prophétise plus il se meut. Il est resté une idée, mais il est devenu une force et il s'est jeté dans la mêlée des forces, dans le fourré épais de l'intrigue politicienne où il faut qu'il se fraye un chemin....