Extrait du journal

de sa province où elle n’avait pu trouver un mari a cause de son humeur revêche et de sa laideur; elle proposa à son frère de faire valoir comme il l’entendrait les quelques milliers de francs qu’elle avait eus pour sa part dans l’héritage paternel, et Dufour, qui commençait alors sa banque à la petite semaine, et qui avait besoin de fonds pour ses prêts usuraires, accepta avec joie la proposition de la vieille fille. Elle vint donc s’établir dans la maison de la rue des Canettes, dont on fit plus tard l’acquisition, et bientôt elle y régna despotiquement. Jamais deux caractères n’avaient eu une si grande ressemblance que celui du frère et de la sœur : avares, égoïstes, impitoyables tous les deux, ils dépouillaient avec la même avidité les malheureux que la nécessité forçait d’avoir recours à eux. Si l’un proposait une économie dans la maison où manquait même le nécessaire, l’autre renchérissait encore le lendemain; c’était un assaut continuel de cadreriez et de bassesses, dans lequel ni l’un ni l’autre ne voulait céder. L’usurier et la vieille fille étaient donc en parfaite intelligence : sombres, mystérieux tous les deux, ils ne révélaient jamais le secret de leurs pertes ou de leurs gains à la pauvre jeune femme qu’ils martyrisaient à l’envie. Elle leur pesait ainsi que son enfant, et, oubliant la dot, assez mesquine il est vrai, qui avait été engouffrée dans leur coffre-fort, ils se demandaient de temps en temps à voix basse : — Comment pourronsnous nous tirer d’affaire avec ces deux bouches inutiles?...