Extrait du journal

fallait prendre une croix et le suivre » ; ' et il fabriquait l'insigne nouveau, le plaçait sur le dos dès passants et leur commandait d'aller vers le Nazaréen. Simon écoutait ces choses et il sou riait. Il pensait en lui-même : « Ce sont des fous. Le Prophète n'a pas pu dire tout cela-ou il l'a dit autrement «. Et, malgré tout, le doute naissait en son cœur. Son robuste bon sens se scandali sait devant cette floraison ingénue de l'absurde. Et il restait là, sceptique, inquiêt, partagé entre l'espoir et le décou ragement, pareil à ces pêcheurs de Ly bie, sur la mer et dans la nuit mauvai ses, quand les étoiles sont cachées par les nuages et que le port est encore lointain. —.« Il faut que je voie et que j'en tende moi-même »,.se dit-il un jour, et "il demanda où se trouvait le Prophète. A ce moment-là Jésus venait de quit ter la Galilée et prêchait l'Evangile dans la contrée où sont les. rives du Jour dain. Simon le chercha longtemps. Un matin, comme il se trouvait à la porte de .Gésarée, on lui montra un homme entouré d'autres hommes et qui s'enga geait dans là campagne : « Le voici ! » dit un passant, et Simon s'approcha: IL ne fut pas ébloui. Jésus"ne ressemblait point aux sages de Cyrène : il était sim ple et vrai. Sa robe était d'une étoffe rude et une pauvre corde lui ceignait les reins.- Simon fut seulement frappé par l'étrange lueur et la divine douceur du regard : les yeux étaient plus pro fonds que le ciel et ils étaient bons sur tout, des yeux clairs comme l'eau des sources et. tendres comme un amour sans limites. Jésus précédait le groupe de ses disciples et Simon suivit. Il entendit le Prophète qui deman dait T . — «Que dit-on que soit le Fils de l'Homme? » Et il y eut aussitôt une foule, de ré ponses : « Vous êtes Jean-Baptiste... Vous êtes Elie... Vous.êtes l'un ou l'au-tre des prophètes. » Alors Jésus s'arrêta. Il fixa son regard sur le disciple qui le suivait de plus près. L'a.ttitude devint solennelle. Il dit lentement : — « Et toi, Pierre, qui crois-tu que je sois ?» L'homme h qui il parlait était presque un vieillard. Rien ne le distinguait dans, le cortège, sinon son aspect plus grave et son âge plus mûr. Quoiqu'il ne fût qu'un disciple comme eux, ses frères l'entouraient d'un respect attentif. Il écouta la question du Maître ; sa tête blanche se courba. Il réfléchit une mi nute et la réponse trembla sur ses ru des lèvres : ■— « Je crois que vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. » Jésus sourit. Un éclair de joie passa sur son beau visage. Il leva les yeux au ciel comme pour y chercher une ins piration. Ses lèvres frémissaient ; un silence impressionnant régnait autour de lui et Simon crut que la terre écoutait. Alors Jésus prononça très lentement : — « Tu es bien heureux, Pierre, car ni la chair ni le sang ne t'ont révélé ceci, mais mon Père qui est au ciel. Et c'est pourquoi, moi, je te dis : Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise et les portes de l'Enfer ne pré vaudront pas contre elle. Je te donne rai les clefs du royaume du ciel, et ce que tu lieras sur la terre sera lié dan° le ciel, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel. » Chaque mot tomba sur le front incliné du vieillard, comme la goutte d'huile qui sacre les rois et les pontifes. Pierre rougissait ; de grosses 'larmes coulaient sur sa joue. Il ne savait que dire : fris sonnant, silencieux, il restait là. écrasé sous l'honneur, sublime dans le mys tère, résigné sous le fardeau......