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L’Univers, 15 avril 1880

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L’Univers
15 avril 1880


Extrait du journal

entre les lois de l'Eglise et celles de l'Etat, et il résultait de cet accord des privilèges et des servitudes qui n'ont plus do raison d'ê tre. On nous accuse très injustement de ne pas aimer la société moderne ; est-il juste d'aller chercher dans les débris de la vieille société tout ce qui peut servir de prétexte jour priver les religieux d'aujourd'hui des droits qu'un nouvel état de choses consacre au profit de tous? Je n'examinerai pas non plus, les actes qui datent de la Révolution, laissant cette discussion technique aux jurisconsultes, et je borne à une considération qui, selon moi, domine toute la question et doit con vaincre les esprits graves et sans passion : quatre-vingt-dix ans nous séparent de la première loi révolutionnaire, invoquée par les décrets contre les congrégations. Cet es pace de temps peut être divisé en doux pé riodes. La première, qui est la plus courte, est aussi la plus troublée ; c'est celle pen dant laquelle un nouvel état social s'élabore péniblement, et c'est aussi à celle-là qu'ap partiennent exclusivement les dispositions violentes, contradictoires, incohérentes dont on veut se servir contre les ordres religieux. La seconde période dure plus longtemps; elle est plus calme et plus prospère, et c'est le temps où se dégage et se fixe l'esprit nouveau qui pénètre toute la société. Or, c'est pendant cette seconde période que les congrégations renaissent, se multi plient, s'étendent, traitent avec le gouver nement, le servent dans nos colonies et dans nos armées, et recueillent partout les témoignages de l'estime et de la confiance publiques. L'enseignement aux divers de grés est successivement affranchi des en traves du monopole, et les congrégations sont les premières à exercer le droit d'en seigner : elles le font au grand jour, avec un éclatant succès, à la satisfaction univer selle. Et c'est après un demi-siècle de pos session tranquille, alors que nul ne se sou venait plus de ces lois vieillies, héritage do nos jours troublés, c'est alors qu'inopiné ment, sur l'injonction d'un parti politique, on tire de l'arsenal juridique ces instru ments usés 1 Sans les décrets qui les ressus citent, qui donc connaîtrait aujourd'hui ces lois existantes dont on veut se servir contre des Français fidèles? Et quelles sont les- personnes qui se voient en butte à de telles rigueurs? Ce sont celles qui, obéissant à une inspiration supérieure, ont abdiqué les avantages du monde et renoncé aux joies de la famille, pour se consacrer au service de Dieu et de leurs frères. Ces personnes vivent de peu travaillent constamment, prient pour ceux qui ne prient pas, instruisent les ignorants, soignent les malades, visitent et soulagent les pauvres, recueillent et nourrissent les orphelins et les vieillards, portent partout les consolations de la religion. Parmi les groupes qu'elles forment, les uns ont obtenu successivement du pouvoir la qualité de personnes civiles, et sont par là devenus habiles à recevoir les libéralités qui leur sont faites. Les autres groupes n'ont rion demandé à l'Etat, et ne se sont réclamés que du droit commun. Les uns et les autres ont vécu, dans le respect des lois, dans la pratique du dévouement, et, sous des formes diverses, ont également bien mérité du pays. Et pourtant colles de ces institutions qui n'ont pas sollicité de faveur, sont dénon cées comme rebolles. Leur existence cons titue un désordre uniquement parce qu'elle n'est pas privilégiée. On leur enjoint de de mander la reconnaissance légale. Il est vrai qu'on ne s'engage pas à la leur accorder. Et comment pourrait-on le promettre? Dans la plupart des cas, l'autorisation ne peut être accordée que par une loi. Quelles déci sions sur leur sort les congrégations peu vent-elles attendre de l'Assemblée politique qui a voté l'ordre du jour du 16 mars? Si elles ne demandent rien, elles sont en état de révolte et doivent être dissoutes. Si elles sollicitent l'autorisation, la majorité de la Chambre, selon toute apparence, la leur refusera, et elles seront également dissoutes. Je le demande : des associations qui so se raient signalées par des méfaits et non par des services pourraient-elles être traitées avec plus de sévérité ? Et cependant voici une disposition plus rigoureuse encore. Entre les instituts reli gieux, il en est un qui a jeté plus d'éclat que les autres, qui a excellé dans l'éducation, qui a honoré les lettres, qui a formé des savants de premier ordre dans toutes les branches do la science, qui a envoyé des missionnaires à toutes les extrémités du monde, qui a porté la civilisation dans les pays les plus barbares et qui a rougi toutes les plages du sang de ses martyrs. Dési gnée par son importance et ses succès h la haine des ennemis delà religion, la compa gnie de Jésus a toujours confondu la ca lomnie par l'éclat de ses vertus, de ses lu mières et de ses services. Tous nos conci toyens ont pu la voir à l'œuvre depuis cin quante ans : il n'est pas besoin, pour la ju ger, d'interroger les réquisitoires de ses anciens adversaires : elle vit, elle travaille sous nos yeux, et la société moderne, qu'on l'accuse de renier, lui doit la formation des meilleurs de ses fils. Au zèle, ces prêtres généreux ont joint toujours la prudence. Au milieu des dissensions qui agitent et divi sent notre pays, si le clergé tout entier s'est renfermé rigoureusement dans" les limites de son ministère spirituel, la compagnie de Jésus n'a pas été moins fidèle à éviter toute immixtion dans les questions politiques; ceux çui disent le contraire l'affirment sans preuve. _ . . Un évêque qui a sous sa juridiction les principaux établissements des jésuites, a qualité pour les venger de ce reproche. C'est à cette société célèbre que le pou voir réserve ses plus grandes rigueurs; il ne songe pas à proposer au Parlement de la reconnnaître : il ne lui laisse que la mort et lui assigne un délai de trois mois pour disparaître. Monsieur le président, je crois pouvoir dire que l'esprit de modération a toujours réglé mon langage et ma conduite. Cette fois, vous m'excusprez si j'ai de la peine à contenir l'expression de ma douleur. J'ai vieilli avec mon siècle; j'ai assisté à bien des changements politiques; j'ai vu bien des conflits se produire au sein de notre chère et malheureuse patrie. Un spectacle triste ment nouveau était réservé à mes derniers jmirg : je devais voir les préjugés d'un parti arrêter violemment les progrès des libertés publiques et %ir.e rétrograder le pouvoir- vers les pratiques oubliées des j$gimes absolus....

À propos

Fondé en 1833 puis suspsendu en 1860, L'Univers réapparaît sous le Second Empire, toujours sous la direction du même homme, Louis Veuillot. Au début de la Troisième République, il est le journal catholique le plus lu en France. Ultramontain et farouchement conservateur, le titre affiche le plus grand mépris pour les républicains, de même que pour les catholiques libéraux. Il cessera de paraître au commencement de la Première Guerre mondiale, avant de tenter une relance en 1917 qui s'achèvera sur un échec : le journal disparaîtra définitivement en 1919.

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