Extrait du journal

Simple remarque Evidemment, je n'y connais rien. Je ne fais pas de stratégie et me garde, fût-ce dans le secret de ma vaine rêverie, de juger et de critiquer les opérations de notre état-major. Mais enfin, ce n'est pas une raison pour ne pas chercher à voir clair, aussi clair que possible, dans la plus tourmentante incerti tude. Ce que je vois le plus nettement, lors que je domine mon trouble, en peu de mots le voici : Les Allemands — et je crois que les cir constances ne leur permettaient pas d’agir autrement — ont tenté un coup de folie. D’ailleurs, il n’est pas évident que le para doxe où ils s’évertuent ne puisse, dans une certaine mesure, leur réussir. Du moins sont-ils, en quelque sorte, grevés du mortel péril que comporte une pareille tentative. Nous, au contraire, nous n’avons qu’à être raisonnables. Notre action défensive est tou te de sagesse réfléchie, de calcul exact et de discernement. Bref, nous ne prêtons pas, ou nous prêtons beaucoup moins que nos enne mis, le flanc à ces hasards qui bousculent toutes entreprises humaines et qui, à la guerre, ont une formidable maîtrise. Ainsi se pose le problème, entre eux et nous : folie d’un côté, raison de l’autre. Eh bien I la folie a des sursauts, redoutables et de soudains succès. A la longue et, disons, à la fin, c’est la raison qui l’emporte : elle a le temps pour elle, comme la folie l’a contre elle. Cette pensée n'est point de qualité mysti que, mais positive et, réellement, expérimen tale. Je l’avoue sans feinte, elle me plaît. Elle ne résulte pas d’informations vagues et bientôt démenties. Je la préfère aux potins qui courent et aux imaginations des uns ou des autres. Elle a, pour moi, la solidité d’un fait. Et, si je ne sais pas combien de jours il faut à la raison pour imposer sa suprématie à l’extravagance, je ne doute pas qu’en fin de compte elle ne l’impose....