Extrait du journal

Un de mes amis qui a des loisirs, et qui & aussi dans l’âme quelque sérénité, cherche à occuper ses loisirs d’une douce et inoffensive façon : il « statistique ». Il statistique sur tout ce qui se passe, sur l’actualité, grande ou petite, sur les hommes ou les choses et, au besoin, sur les senti ments. Quand les choses se font trop banales, les hommes trop sots et les sentiments trop pi toyables, mon ami statistique sur n’importe quoi, par exemple sur le temps qu’il fait. Ne le méprisez pas. Il est peut-être bien un grand homme. Donc, hier encore, il statistiqua, et son ami tié pour moi le poussa, comme à l’ordinaire, à me livrer orgueilleusement le résultat de ses calculs. Et ce que ce calculateur m’apprit, c’est que, par la torride température dont nous jouissons en ce moment, on peut affirmer que, dans toute la capitale parisienne, l’expression « quelle cha leur ! * ou autre locution similaire, retentit quotidiennement le nombre respectable de 64 millions de fois, soit à dire que chaque habi tant le répète pour sa part, chaque jour, vingtdeux fois et demie. Vous vous récriez, sans doute, à la lecture de ces lignes, et montrez un visible dédain pour mon ami le statistiqueur. Laissez-moi vous dire, cependant, très res pectueusement, que vous avez tort, car ce digne mathématicien agrémente ces petits calcule de déductions philosophiques qui ne sont pas sans intérêt. C’est ainsi qu’en me dévoilant ce magnifique total do 64 millions de fois que revient, selon lui, l'exclamation obsédante, il ajouta : — Pauvre Franco ! Oui 1 Pauvre France ! expliqua-t-il en voyant mon effarement, car nous ne sommes plus, vrai ment, le peuple le plus éloquent de la terre I La meilleure preuve en est là. Ecoutez tous les gens qui causent entre eux, à tous les étages de la société, jeunes mariés ou camarades, ennemis intimes ou vieux amie ne s’étant pas vus depuis vingt ans, hommes d’Etat ou croyants, fainéants ou bonnes à tout faire, hommes de peine ou filles de joie, ils ne trouvent rien de mieux à se dire quand ils s’abordent que de faire des considérations sur la température. Eh bien t oui 1 il fait chaud ! On le sait. Constatez-le en vous réveillant et en voua couchant, mais ne le répétée pas vingt-deux Ms et demi I...