Extrait du journal

Je viens do rencontrer celte merveille : un homme heureux. Ah ! qu’il était heureux, cet homme ! C’était pourtant un humble, aux manières frustes, aux vêtements sans élégance, aux mains usées de prolétaire. Devant sa joie qui débordait en un rire gras en face d’une môminette, grasse aussi, je m’in formai de sa situation sociale. — Je suis, me répondit-il, le « charcutier de l’Opéra ». — Mais oui et je vais faire fortune, grâce à ce bon M. Messager, et grâce à ce bon M. Wag ner, à qui, d’ailleurs, j’ai expédié tout à l’heu re pour les remercier un pot de rillons de ma façon, dont ils se lécheront les lèvres. Vous n’ignorez pas que l’Académie nationale de musique vient d’organiser des spectacles nouveaux qui commencent dès l’après-midi et où il y a des entr’actes-dîners. Une Idée épa tante. Les gens très riches, les types costauds se rincent la dalle et se lestent l’estomac à un buffet à leur hauteur, où l’œuf à la coque coûte trois francs. Que voulez-vous f Quand on a payé 18 francs son strapontin, ce n’est pas trop cher. Moi, j’ai pensé aux spectateurs des étages su périeurs, troisièmes, quatrièmes, cinquièmes galeries. Il est pénible pour eux d’arriver char gés de victuailles. Alors savez-vous ce que j’ai fait. Grâce à mon beau-père qu’est un peu cousin do M. Doumergue, là-bas au paya — ne le dites pas —je me suis fait « tolérer » dans la salle, comme le monsieur qui vend les orgeats, limo nades, bières, bonbons, acidulés, pastilles de menthe, etc. J’ai seulement pris l’engagement d’honneur de ne jamais descendre à l’étage des loges. Et j’aurai les palmes au premier janvier....