Extrait du journal

L’âpre visionnaire de Sils-Maria, qui, dans l’air glacé des hauteursj à « six mille pieds au-dessus des choses humaines», contemplait toutes les traditionnelles appréciations avec « une indépendance d’oiseau », eût été fort étonné en voyant la manière dont se^ idées ont été souvent interprétées sur cette terre de France qui lui semblait, en notre époque érudite et grossière,le dernier refuge delà finesse et de la vraie culture. Lui qui parlait de Bismarck avec une ironie cinglante, de Treitschke avec un sourire de mépris,de la formule « Deutschland über ailes » avec une nausée, du nouvel empire alle mand avec dédain et du grossier patriotisme germain avec colère ; lui qui voyait dans l’Etat militaire allemand moderne un monstre qui annihile l’individu, seule réalité , il eût été fort étonné de se voir rangé parmi les artisans responsables de cette folie belliqueuse allemande que le monde, à l’heure actuelle, si tragiquement expie. Nietzsche, artiste incomparable, a le don des formules saisissantes, qui dans un raccourci puissant, semblent expri mer toute sa pensée. Quand vous lisez des phrases comme celles-ci : « L’homme doit être élevé pour la guerre et la femme pour le délassement du guerrier (2) », « la guerre est la mère de toutes les bonnes choses (3) », « c’est la bonne guerre ( 1 ) Nos citations sont empruntées à la belle traduction de M. Henri Albert, Mercure de France. (2) Ainsi parlait Zarathoustra, p. 91. (3) Le Gai Savoir, p. i36....