Extrait du journal

Quand on avait vu Hugues Rebell une fois, on ne pouvait pas l’oublier. C’était un gros garçon blond et rose, rasé comme un jeune lord, de petits yeux bridés et un nez mince dans une large face poupine. Son portrait, crayonné par Jean Véber dans VErmitage de 1896, offrait un masque d’un caractère étrange ; vous auriez dit une cambodgienne ou une mandchoue entre deux âges. Et, en effet,on pouvait trouver beaucoup de féminin en lui; il était doux, têtu, sensuel et timide. Une jeune fille ne rougissait pas plus facilement. Si on le croisait sur le boule vard, il s’effondrait furtivement en un salut écarlate. Quand il venait sur vous,les yeux mi-clos et la tête en avant, il avait l’air d’un matou qui fait le gros dos. On partageait sa gêne, si incohérentes étaient ses premières paroles, si hésitante sa ré ponse à votre poignée de main.Il parlait lentement, presque à voix basse,avec des réserves, des silences, des circonlocutions cérémonieuses. Vous l’eussiez pris pour un séminariste en re dingote. Si la première impression était étonnante, la seconde était intéressante.Une fois les balbutiements de l’abord surmontés, Rebell se révélait muni de théories fortes, de connaissances 01 iginales et d’idées bien construites. Dans ce milieu fugace qu’est toute jeune génération littéraire, où chacun semble à l’affût de la mode nouvelle pour l’exagérer jusqu’à l’outrance, il apparaissait d’une indifférence parfaite à tout ce qui n’était 3i...