Extrait du journal

J’ai connu Jules Renard en rhétorique, au Lycée Charle magne, en octobre t88i. Il venait du collège de Nevers, où il s’était désigné, par ses succès, à l’attention d’un chef d’insti tution parisienne. Ce dernier, pour remonter son industrie périclitante, s’était avisé de former une pépinière de choix, en raflant l’élite des lauréats de province. Il les engageait comme un directeur de cirque fait de numéros sensationnels, escomp tant le bruit de leurs triomphes futurs. Il décidait les parents, à force de concessions, et s’assurait ainsi, à la fin de l'année, un stock considérable de sujets primés, destinés à établir, aux yeux des gens, l’excellence de sa méthode et le bien fondé de sa réputation. Les élèves de cette institution suivaient, en qua lité d’externes,les cours du Lycée Charlemagne. Originaire de la Nièvre (i), Jules Renard avait alors dix-sept ans. C’était un grand garçon roux, solide, au front bombé, à la physiono mie originale et fine, aux yeux aigus, mais taciturne et peu enclin aux confidences. 11 m’empruntait, avec un soin cons(i) C'est le hasard d’un déplacement qui fit naître Jules Renard à Châlon (Mayenne). Il est, en réalité, originaire de Chitry-les-Mines (Nièvre:, où sa famille était installée et où s’écoula son enfance. Les gens qui croient à l'influence des Nombres ne manqueront pas de remarquer que Renard, né le 22 février 1864 (6 + 4 = 10), est mort le 22 mai iqio à l'âge de 4G ans (4~\~6— 10). Sa car rière littéraire débute réellement avec le Mercure de France et Sourires Pinces en i8go. Elle atteint à son apogée le 2 mars ujoo, date de la /re représentation de Poil-de-Carottk au Théâtre Antoine. La même année Renard fut fait chevalier de la Légion d'honneur.— Le chiffre 2, jusque daus ses multiples, semblait régir sa destinée....