Extrait du journal

Un motif essentiel des malentendus qui compliquent notre vie et des tragédies qui la dévastent réside dans ce fait irréductible, constitutionnel, organique : dans le monde immense et divers, parmi la multiplicité des êtres et des choses, des causes et des effets, des actes, des pensées, des sentiments, des sensations, nous ne percevons directement que nous-mêmes. Nous ne pensons que nos idées : nous ne sentons que nos sensations. Ce que pense notre meilleur ami, ce que sent la femme que nous aimons, nous ne pouvons que l'iimagmer, et de manière combien hasardeuse ! Il y a — c'est, du moins, la vérité d'hier et celle d'aujourd'hui, que transformera peut-être l'incertain progrès des sciences psychiques — une impossibilité radicale de communication directe entre deux êtres, de communion entre deux âmes, de compréhension immédiate et sûre entre deux pensées à peu près hermétiquement encloses en deux corps. Les paroles, les gestes, les attitudes sont de pauvres moyens, souvent menteurs, toujours imparfaits, et i'1 n'y en a pas d'autres....