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Paris, 4 janvier 1889

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Paris
4 janvier 1889


Extrait du journal

Ohé, Boulange! T’as donc pas regardé derrière toi, que tu parles de République honnête? Moi, quand je traînais mes loques dans Paris et quand je n’avais pour dé jeuner que le pain chipé aux étalages, c’était pas fier, pour sûr, ce que je fai sais; — mais j’avais faim, j’étais pas grand, personne ne m’aidait, et j’étais bien obligé, pour pas crever de faim, de ramasser, comme les moineaux, les miettes de la vie des autres. Mais toi, toi, Boulange, Vas de quoi vivre. T’as dix mille francs par an. C’est un sac. T’es pas obligé de tendre la main. Et cependant, tu sais, on dit que tu ne t’embêtes pas ! D’abord, je t’ai vu passer dans une voiture à quatre’ places qui a bien dû te coûter, avec les chevaux, une année au moins de ton revenu. Et puis, t’as un hôtel, un peu petit, c’est vrai, puisque t’as pas pu y vivre en famille, mais qui est tout de même dans un rude quartier, où ça coûte cher d’a voir son pieu. .C’est pas tout : tu reçois; tu donnes des dîners où il faut croire que tu payes quelquefois. Sans compter que tu es du dernier bien avec les camelots, qui sont des gens pas fiers, mais pognonistes en diable. D’où que ça te ^ient tout cet argent-là, dis, Boulange? Je sais bien que t’as raconté qu’on te l’envoyait par la poste. Oh ! je lis les feuilles. J’y ai vu que tous les matins le facteur qui passe chez toi t’apporte un tas de lettres chargées. Il paraît que tous les vieux bas de France se sont crevés pour toi et qu’on te paye pour que t’arrives. C’est de la chance; mais tu fais tout de même un drôle d’usage de cette aumônc-là en t’en servant pour gobelotter. C’est vrai que tu payes aussi tes élec tions avec. Moi, si j’en faisais autant, on me dirait que je corromps le peuple. — Mais aussi, je n’ai pas été général de division, moi ; j’ai pas le droit de tripa touiller le suffrage universel. Donc, t’as trop d’argent pour me plaire, vois-tu. Quand on est riche, j’aime à savoir comment. Surtout qu’il y en a de ces monacos-là, qui viennent de l’étranger. C’est Chineholle qui l’a dit, et Chineholle sait tout. On a beau n’être qu’un gamin de Paris, ça fait rougir tout de même, de penser que les gens des autres pays donnent de l’argent à un Français pour qu’il cham barde la République. On est chauvin dans la paix comme à la guerre, et si j’ai envie de crier: «Vive quéqu’un ! » ou « Vive quéque chose 1 » quand je vois passer le drapeau bleu, blanc et rouge, — tu sais ? — c’est que celui-là est à nous, bien à nous, rien qu’à nous, et que pour y toucher,faut pas baragouiner l’an glais ou l’allemand. Mais ne nous emballons pas I C’est pas pour faire des phrases que je t’écris : c’est pour te dire en douceur ce qu’on pense de toi sur le pavé, parmi les bra ves gens que je vois du matin au soir, travaillant, peinant dur, geignant quel quefois, mais toujours solides et le cœur sur la main. Comment veux-tu qu’ils te gobent, ceux-là ? Ils te voient rouler la bosse de Naquet dans toutes les maisons où on les déteste ; ils savent que tu te fais nommer consul, au dessert, par Dugué de la Fau connerie ou par Robert Mitchell; ils cherchent autour de toi des amis qui les rassurent et ne trouvent que des toqués ou des ratés qui les découragent. C’est-il Vergoin qui sera ton chance lier, dis Boulange ? C’est-ii Susini qui sera le médecin de tes Tuileries, dis mon empereur? C’est- il Laguerre qui présidera ton conseil? C’est-il Laur qui sera chargé des affaires étrangères?... Malheur ! Tu te présentes à Paris pour être un6 espèce de député en chef, et v’ia, tes troupes ! — T’as pas d’œil, mort pauvre vieux ! On n’est pas toujours tnalin, ici ; mais on n’est pas bête à ce point-là. Ecoute bien ce que je vais te dire, Boulange : Tu ne seras pas nommé. On aime chez nous ce qui sonne franc ; on...

À propos

Fondé en 1881 par Charles Laurent, Paris fut d'abord un quotidien gambettiste, avant de devenir tout simplement opportuniste. En 1888, le journal attaque avec violence le Crédit Foncier, lequel le rachète immédiatement dans le seul but de le faire taire. À la suite de quoi le directeur du journal démissionne, pour fonder Le Jour. Le nouveau directeur Raoul Cavinet, d'une moralité douteuse, sera impliqué dans les années qui suivent dans plusieurs affaires de chantage et de fraude. Il abandonnera son poste, et le titre avec lui, en 1895.

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