Extrait du journal
AU SEUIL DE 1943 1940 s'était clos sur des visions de catastrophe : La France à genoux, jetée hors de la guerre par les gangsters de la défaite ; l'Angleterre réduîte à la défense, se bornant à parer les coups, menacée d'invasion pour le printemps prochain. 1941 n avait point, il s'en fallait, amélioré cette situation tragique. L'Allemagne, en élargissant le cercle de ses conquêtes, avait, il est vrai, accru le nombre de ses ennemis. Mais enfin les Balkans avaient subi le joug, ainsi que. l'Ukraine tout entière et d'immenses territoires en Russie proprement dite ; toutefois ni Leningrad, ni Moscou, ni le Caucase n'avaient été atteints ; l'armée rouge, malgré d'énormes pertes, restait intacte. Fait qu'on pouvait croire décisif : le Japon venait d'entrer dans la terrible danse, où elle entraînait l'Amérique ; le Pacifique était en feu. Voici que 1942 s'achève. Et c'est par un : « Que les temps sont changés ! » que nous traduisons d'un mot notre vue générale sur la situa tion. Les temps sont changés, oui, bien changés. Certes l'ennemi a encore mordu sur les terres soviétiques ; il a atteint, au prix d'une gigantesque déperdition de forces, les premières pentes du Caucase, mais non pas les pétroles ; il a touché Stalingrad et la Volga, mais n'a pu s'y maintenir ; en ce moment même, il recule, devant des armées soviétiques plus comba tives que jamais. Qu'arriverait-il si, demain, les armées sibériennes de Blücher — Blüchqr, un nom prédestiné ! — descendaient tout-à-coup de l'Oural et se jetaient dans la fournaise ) Les Nippons, depuis Mai, n'ont plus réalisé aucun gain ; aux Salomons, en Nouvelle Guinée, ils perdent des batailles et cèdent du terrain, ils viennent d'essuyer une défaite navale. Ni l'Inde, ni l'Australie ne sont plus menacées. Mais ni de l'arrêt des Japonais, ni de l'avance, au demeurant légère, des Allemands en Russie, avance compensée depuis peu par leur retraite de Cyrénaïque, on ne peut dire qu'ils ont modifié la courbe stratégique de la guerre^ Et rien n'aurait très sensiblement changé dans la situation géné rale si ne s'était produit le 8 Novembre, un évènement de première gran deur : à savoir, l'arrivée en Afrique des forces Anglo-Américaines, suivie, presque sans coup férir, de l'occupation du Maroc, de l'Algérie et d'une partie de la Tunisie. Le Reich a paré le coup comme il a pu : d'une part, il a ouvert pré cipitamment en Tunisie un nouveau front dont il se serait bien passé, d'au tre part, il a laissé tomber sa lourde patte sur ce qui restait de France libre ; mais s'il a pu dissoudre l'armée de l'armistice, la Hotte, en se sabordant, a échappé à sa convoitise. Militairement les choses en sont là. L'occupation de l'Afrique a eu pour premier résultat l'encerclement de l'Allemagne. Mais il est évident que les alliés ne se contenteront pas de cet encerclement a distance, que l'Afrique n'est pour eux qu'une plate-forme de départ et que,, sitôt net toyées la Tunisie et la Tripolitaine, les Anglo-américains se jetteront sur l'Italie ou sur la Grèce, sinon sur l'Italie et la Grèce à la fois. Et qui peut dire que l'incendie ne gagnera pas avec le printemps la péninsule ibérique. La France est maintenant sans colonies, sans armée et sans flotte. Politiqnement, l'attentisme hypocrite a subi un coup rude, sinon mortel, quand, en avril. Laval a délogé Darlan. Le premier acte du malfaiteur auvergnat a été d'assujetir la classe ouvrière au travail obli gatoire et d'expédier en Allemagne plus de cent mille spécialistes et ma nœuvres spécialisés, qui d'ailleurs ne sont partis que par contrainte. L'opération a repris depuis peu sous une autre forme ; c'est 3 de toute notre population, sans distinction professionnelle, dont les Allemands exigent la livraison et qui partent ou vont partir en Allemagne. En même temps Laval activait la persécution des Juifs, soumis au port de l'étoile jaune et dont des dizaines de milliers ont été transportés comme du bétail, nul ne sait où. Organisation du travail forcé (pour l'Allemagne) et persécutions anti juives (sur l'ordre de la même allemagne), tout cela s'est fait, comme il convient sous le pavillon du « socialisme » et de - l'intégration à l'Eu rope >». N'en déplaise à nos Révolutionnaires Nationaux, les grands trusts...
À propos
Socialisme et liberté est l’organe de presse du groupe résistant Comité d’action socialiste, fondé en 1941 par Daniel Mayer et Suzanne Buisson à la demande de Léon Blum, alors incarcéré. Il connaît 16 numéros entre décembre 1941 et janvier 1943, dans lesquels on trouve principalement des appels à la résistance ainsi que des articles révélant les actions des collaborateurs. Il se réclame d’une ligne fidèle à Jaurès. S’il est une feuille dactylographiée à ses débuts, il se professionnalise à partir de son septième numéro grâce à l’acquisition d’une imprimante.
En savoir plus Données de classification - blücher
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