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Union nationale des femmes, 10 décembre 1928

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Union nationale des femmes
10 décembre 1928


Extrait du journal

Après M. Paul Valéry, de VAcadémie Française, et M. André Maurois, dont nos lectrices n'ont pas oublié les beaux arti cles parus ici sur le féminisme, voici au jourd'hui l'opinion d'un des maîtres du roman, M. Edmond Jaloux. M. Jaloux est aussi un des grands critiques français. Pour aider notre cause, il a bien voulu l'examiner avec son haut jugement, et nous l'en remercions vivement car son opinion est de celles qu'on retient et qui font réfléchir. Il faut bien l’avouer entre noue : :e plus grand obstacle au triomphe du féminisme en France ne vient pas des hommes ; il vient des femmes. Ce sont celles-ci qui l’ont fait réussir en partie, soit en Angle terre et en Amérique, soit en Scandinavie ; ce sont elles qui chez nous s’opposent à lui. Elles ne s'y opposent pas lormellement, consciemment, ce qui serait peutêtre moins dangereux ; elles s’y opposent sans le vouloir, sans le savoir. Il y a à leurs yeux je ne sais quels préjugés au sujet du féminisme ; un préjugé en quel que sorte mondain. Le féminisme choque les Français et surtout les Françaises par tout ce qu’il a d’anti-spirituel, — je prends le mot esprit, bien entendu ici, dans le sens d’esprit de conversation, — d’anti élégant, de sérieux, presque de solennel. Il les choque aussi par ce qu’il détruit une routine : or, on n’ignore pas que la France qui passe aux yeux de beaucoup de Français pour un pays dangereusement avancé est un de ceux où l’évolution so ciale est la plus lente et la plus craintive. La plupart de nos contemporaines ne souf frent pas d’être tenues en tutelle ; elles ne le savent point et 'n’y croient pas ; si on le leur dit, elles rient. Jusqu’au jour où leur vie personnelle subit des difficultés réelles, elles trouvent tout naturel que quelqu’un s’occupe entièrement d’elles — en l’espèce, leur mari ; élevées comme des enfants par des familles anxieuses et timorées, elles passent de l’esclavage de l’enfance à la servitude du mariage, sans désirer autre chose. Et ce mot de servi tude fera sourire beaucoup d’entre elles. Elles considèrent, en général, que la li berté féminine doit se limiter à la liberté d’achat et que si un mari n’épluche pas les comptes de trop près, son épouse n’a rien à demander de plus. Vous objecterez à cela que je ne fais allusion qu’à une classe privilégiée ; c’est possible, mais cette classe privilégiée a une importance Considérable, car elle touche de très près aux milieux qui font l’opinion, et d’ail leurs, les classes moyennes ne sont pas plus sympathiques au féminisme que les autres ; elles ont peur qu’il ne lèse en quel que sorte ce qu’elles estiment avoir du prix à leurs yeux : leur vie d’intérieur et leur pseudo-vie sociale. Quant aux gé nérations plus jeunes il leur suffit d’avoir acquis une indépendance personnelle, ant> familale, dans un cadre social solide pour se croire libres. Ajoutons que pour beau coup de féministes, lé féminisme est une manière de faire de la politique, et de la politique révolutionnaire. Le problème est donc faussé sur tous lès points. Il faut d’abord combattre les préjugés, et surtout les préjugés féminins. Je sais bien que les progrès du fémi nisme augmentent tous les jours, mai.'' allez en province visitez la bourgeoisie et vous serez surpris que les idées y soient encore à ce point rétrogrades. On ne fera jamais assez de propagande auprès des Françaises ; en général, elles ignorent à peu près tout de la législation de notre pays, et quand les circonstances les met tent, hélas ! en face des réalités les plus Cruelles, elles s'e récrient de ce que si peu soit fait pour leur venir en aide. Hieii des choses, fort préjudiciables à leurs intérêts, devraient par exemple être revisées ; par exemple, tout ce qui touche au divorce , mais si la cause des femmes n’est pas défendue par elles-mêmes au Parlement, comment peuvent-elles espérer qu’elles auront un jour gain de cause ? L’opinion moyenne ignore trop que le Parlement a surtout pour but de faire ou de reviser de.s lois ; on ne voit plus de lui qu’une canalisation, — ou une « torrentisation », si j’ose m’exprimer ainsi, — des partis politiques. Combien de gens, et même d’éminents ! m’ont dit lorsque je leur par lais de féminisme : « C'est trop tôt. L’édu cation politique des femmes n’est pas en core faite chez nous... » Peut-être est-ce pour cela qu’elles ont gardé un esprit sain sur les problèmes essentiellement vi taux d’un peuple, ceux qui ne se servent pas de tremplin aux ambitions des partis. Et c’est justement parce qu’il ne jouent, aucun rôle de ce genre que ces problèmes sont sacrifiés. La femme n’obtiendra rien du Parlement tant qu’elle ne votera pas : et pour qu’elle puisse voter, il faut qu’elle ait déjà la faveur du Parlement. C’est un cercle vicieux. On n’en sortira que par Une action très énergique sur l’opinion pu blique et y intéresser d’abord les femmes. D’elles seules viendra leur salut, mais il faut qu’elles soient beaucoup à le vouloir et qu’elles aient le courage-de renoncer à leurs habitudes d’indifférence à leur propre sort, tant qu'il n’est pas en dan ger. Edmond JALOUX....
UNF. Union nationale des femmes (1927-1964)

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