Les grands récits de Blaise Cendrars
L'écrivain est venu au journalisme sur le tard. Dans les années 1930, il explore les bas-fonds et relate des histoires vraies dans un style inimitable.
Blaise Cendrars a d'abord été poète puis romancier avant de devenir un journaliste engagé, passionné par le réel. C'est en plongeant dans la vie de l'aventurier Jean Galmot (dont il tirera un roman, Rhum, paru en 1930) qu'il découvre le monde du journalisme et acquiert le goût du grand reportage.
Dans les années 30, il commence à publier de longs récits écrits à la première personne, notamment dans Paris-Soir, le journal de son ami Pierre Lazareff, qui l'envoie prendre part au voyage inaugural du paquebot Normandie, puis visiter Hollywood. Les lecteurs découvrent ces textes d'une grande puissance, au style inimitable. En 1938, Blaise Cendrars publie pour Paris-Soir "un hallucinant reportage sur les pénitenciers au Brésil", ainsi que le présente le journal.
"Le puissant, le brillant romancier de l'Or, de Moravagine, de Rhum, du plan de l'Aiguille, est aussi — nos lecteurs le savent mieux que personne — un journaliste de grande classe", écrit Pierre Lazareff. Et à lire le premier volet du reportage, dans lequel Cendrars se livre à une description magistrale d'un détenu brésilien, on comprend qu'il s'agit là d'un compliment amplement mérité :
"A voir ses manières de chat, ses gestes souples, sa chevelure ondulente et non pas crêpelée, sa barbiche soyeuse, rare, son sourire, qui sur un mot illuminait naïvement sa face et venait éclairer ce que son œil avait de trop triste, de trop profond, de trop noir, comment croire que j'étais en tête à tête avec un fou sanguinaire et comment l'interroger sans irriter ce forcené ?
Cette brute qui s'était accusée sans sourciller des crimes les moins avouables, cet esprit troublé qui s'était plaint d'avoir été battu et roué par le diable, par Satan en personne, cette âme en peine qui s'était dite contrainte d'agir, d'obéir à des visions foudroyantes et à des voix qui lui tombaient du ciel, cette bête féroce qui s'était vautrée dans des entrailles chaudes, aboyante et lapant le sang, ce tueur qui ne connaissait pas le nombre de ses victimes et "qui n'avait pas conscience de l'énormité ni de l'abomination de ses forfaits, ce sadique inhumain ce portait sur soi aucune marque extérieure de bestialité, ni aucun indice de tare, sinon, peut-être, le lobe de l'oreille gauche, qui était adhérent, et, peut-être encore, ses dents carriées, chose fort répugnante chez un nègre et qui rendait sa bouche, irrémédiablement flétrie, obscène. (...)
Et passant ma main entre les barreaux comme on fait pour amadouer un félin.
— Febronio ! appelai-je encore, Febronio, tu as entendu ce qu'ils ont dit, ceux-là ? N'est-ce pas que tu n'es pas le diable ? Ecoute, je viens de France, je voudrais te parler. Je ne suis pas de la police. moi.
J'écris dans les journaux. Pas dans ceux d'ici, dans ceux de Paris. Tu connais Paris, Febronio ? Tu en as entendu parler ?. Eh bien, écoute, Febronio, ton histoire m'intéresse. Je ne te veux pas de mal. Je voudrais te parler, tout simplement".