Les voyages de Pierre Loti
Pendant des années, l'écrivain Pierre Loti a enflammé l'imagination des lecteurs du Figaro avec ses récits de voyage.
La matière de son œuvre littéraire, Pierre Loti (1850-1923) l'a trouvée dans ses innombrables voyages. Et ce sont eux aussi qui ont inspiré à l'auteur de Pêcheur d'Islande quelques-uns de ses plus beaux articles. Les nombreux textes qu'il a fait paraître dans Le Figaro, en effet, sont presque tous des compte-rendus de ses expéditions à l'étranger. Évocations volontiers lyriques d'un Orient encore largement fantasmé par les Occidentaux, ce sont souvent de véritables morceaux de bravoure où le ton épique se mêle aux descriptions pittoresques.
Le 25 décembre 1899, le quotidien, alors dirigé par Gaston Calmette, publie en première page un article intitulé « En route vers l'Inde », où Loti, qui décrit la mer Rouge, donne libre cours à son talent d'écrivain :
« Ici, dans le vieil Orient des tombeaux, sur la poussière des humanités disparues, elle dure sans trêve, la morne fête ; seulement on l'oublie, sitôt que l'on s'en retourne vers le Nord, et c'est une surprise ensuite, chaque fois que l'on revient, de la retrouver pareille. Toujours elle rayonne sur ces mêmes vieux golfes chauds et languides, sur ces mêmes vieux rivages de granit ou de sable, sur ces ruines, sur ce monde de pierres mortes qui garde ici le mystère des races bibliques et des religions mères. »
Le 8 décembre 1901, c'est un récit de son voyage en Chine qui occupe la une du Figaro. De passage dans la ville de Y-Tchéou, l'écrivain-voyageur en profite pour évoquer, non sans humour, la récente révolte des Boxers, ce mouvement qui s'opposa de 1899 à 1901 aux colons étrangers et au pouvoir de la dynastie des Qing.
« Ardemment ralliés pour l'instant à la cause française, ils décapitent volontiers ceux des leurs qui n'ont pas transigé et mettent les têtes dans ces petites cages dont les portes de leur ville sont garnies ; mais, si le vent tournait demain, je me verrais déchiqueté par eux au son de ferraille de leurs mêmes gongs, et avec le même entrain qu'ils mettent à me recevoir. »
En 1908, il est en Égypte et visite le tombeau d'Aménophis II, dans le désert de Libye. Alors qu'il parcourt les caves où sont enterrées les momies du pharaon et de sa famille, les lumières s'éteignent. Et une fois de plus, Loti ne ménage guère ses effets pour impressionner le lecteur...
« Oh!... soudain, nuit noire! — et nous restons figés sur place. L'électricité partout à la fois vient de s'éteindre : en haut, sur terre, midi a dû sonner pour ceux qui connaissent encore le soleil et les heures. »
On le retrouvera encore par exemple en 1912 en Turquie, alors en pleine guerre balkanique. L'écrivain, qui lance dans les colonnes du Figaro du 7 novembre un appel à la pitié pour les Turcs vaincus, rend hommage à ce peuple qu'il aime profondément.
« Oh ! ces villes du passé, perdues au fond de l'Anatolie, ces villages dans la verdure groupés autour des minarets blancs et des cyprès noirs, comme on y respire la paix et la confiance, combien la vie s'y révèle honnête et patriarcale ! Oh ! ces hommes, laboureurs ou modestes artisans, qui vont à la mosquée s'agenouiller cinq fois par jour et qui, le soir, s'asseyent à l'ombre des treilles, près des tombes d'ancêtres, pour fumer en rêvant d'éternité ! »
Pierre Loti s'éteindra à Hendaye en 1923, à l'âge de 71 ans, laissant derrière lui des dizaines de récits dont la puissance évocatrice continue de faire rêver les lecteurs.