Le premier roman de Beauvoir dans l'Action française
Le premier roman de Simone de Beauvoir est globalement encensé par la critique en 1943. Les prémices du Deuxième sexe, fustigé quelques années plus tard, y sont pourtant déjà en germe.
L'Invitée, le premier roman de Simone de Beauvoir, paru en 1943, rencontre un très bon accueil critique. La philosophe et romancière y décrit, à travers des personnages imaginaires, le trio amoureux qu'elle a vécu avec Jean-Paul Sartre et la jeune Olga, son élève, dont Sartre s'est pris de passion. Le succès est immédiat. Pourtant, en creux, apparaissent déjà les prémices de la réflexion philosophique de Beauvoir qui aboutira à son célèbre essai féministe Le Deuxième Sexe, dont la parution provoquera un véritable tollé, six ans plus tard.
De manière assez surprenante, l'une des plus élogieuses et intéressantes critiques de L'Invitée est publiée dans L'Action française, journal nationaliste et monarchiste, à mille lieues de l'engagement communiste et existentaliste de Beauvoir et Sartre. La critique est signée par Thierry Maulnier, journaliste de droite, auteur dramatique membre de l'Académie française :
"Le roman — le premier roman — de Mme Simone de Beauvoir se distingue par des qualités remarquables, mieux encore par ce que l'on pourrait appeler un ton nouveau dans l'abondante littérature féminine de ces dernières années. Le procédé romanesque de Mme Simone de Beauvoir est le plus simple, et le plus dénué d'affectation. Aucun étalage de virtuosité, aucun désir de prouver la maîtrise, aucun effort d'originalité dans la technique. Mais ils sont, dans chacun de leurs mouvements, baignés d'une lumière intelligible qui pénètre dans les replis de leur cœur sans rien retrancher à leur complexité. C'est avec un art remarquable que Mme Simone de Beauvoir met en jeu ces complexes, ces ensembles psychologiques qui déterminent les actes humains beaucoup plus que des mobiles clairement délimités."
Pour autant qu'il ait été sensible au récit philosophique de ce trio amoureux, Thierry Maulnier se livre à une analyse invoquant "le si puissant déterminisme de la nature et de la condition féminines" allant totalement à l'encontre de la pensée développée par Beauvoir dans Le Deuxième Sexe - "on ne naît pas femme, on le devient" :
"Il y a un style féminin dans la littérature, un déterminisme si puissant de la nature et de la condition féminines auxquelles de Mme de Lafayette (pour ne pas re monter plus loin) jusqu'à Colette, personne, à ma connaissance, n'a échappé, et que la grandeur des grands écrivains femmes a consisté non pas à s'affranchir de cette condition et de cette nature, mais à porter par l'acuité de l'intelligence, l'intensité des émotions ressenties et transcrites, enfin la beauté de la langue, les problèmes propre ment féminins au-dessus de ce qu'ils peu vent avoir en eux-mêmes, dans leurs formes ordinaires, de médiocre et de limité, au niveau de l'angoisse universelle, de la douleur et de la joie élémentaires, de l'éternelle interrogation au destin."