La subtile résistance de Francis Poulenc
Pendant la guerre, le compositeur des "Biches" et des "Dialogues des Carmélites" avait trouvé un moyen ingénieux de défier l'occupant allemand.
Août 1942, Paris. Nous sommes en pleine Occupation lorsque Le Figaro publie une interview du célèbre compositeur Francis Poulenc, qui vient de faire jouer à l'opéra de Paris un ballet qu'il a composé entre 1940 et 1941, intitulé Les Animaux modèles. Il s'agit d'une adaptation des Fables de La Fontaine, auxquelles Poulenc voue un culte :
"Il faut vous dire que La Fontaine est une passion poétique qui me vient du fond de l'enfance. J'ai toujours sur ma table de chevet, tel un verre d'eau, le recueil de ses Fables ; et il suffit de quelques lignes pour me désaltérer.
Le thème de cette œuvre n'a donc a priori rien de bien engagé ou de subversif :
"J'ai situé ce ballet, comme Les Biches, en plein été, parce que je n'aime pas l'automne ; en plein soleil et le matin, parce que je n'aime pas le crépuscule ; en Bourgogne, c'est-à-dire dans une province de France qui a mes préférences parce qu'elle est plus qu'une autre une province terrienne, et que j'aime la terre et non la mer. Si j'ai replacé ce ballet au début du siècle de Louis XIV, qui est aussi le siècle de Pascal, c'est pour lui donner un éclairage beaucoup plus juste, c'est encore parce que aucune autre époque historique n'a été plus spécifiquement française."
Et pourtant, en faisant jouer ces Animaux modèles, Poulenc a pris un risque énorme. Car si l’œuvre, à l'origine une commande de Serge Lifar, directeur de l'opéra de Paris et serviteur zélé de l'occupant hitlérien, semble se prêter à l'idéologie du retour à la terre, elle cache une véritable bombe.
Dans la deuxième pièce, Le lion amoureux, Poulenc a en effet glissé le thème de Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine, une chanson de 1871 dont le refrain proclame : « Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine / Et, malgré vous, nous resterons Français / Vous avez pu germaniser la plaine / Mais notre cœur vous ne l'aurez jamais ». Heureusement pour Poulenc, ni les officiers allemands, ni les critiques présents le soir de la représentation, le 8 août, ne l'ont reconnu...
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