Il y a 80 ans, le Front populaire
En mai 1936, le Front populaire remporte les élections législatives et porte au pouvoir Léon Blum qui met en œuvre un programme social sans précédent. 80 ans plus tard, la gauche française y voit toujours un modèle d’union.
Le 3 mai 1936, le Front populaire, coalition des socialistes, communistes et radicaux, obtient 376 siège contre 222 pour la droite.
"Victoire ! ", titre L'Humanité du lendemain :
"Le Front populaire entend user de cette puissance non pour créer du désordre comme on l'en accuse, mais pour assurer la réalisation des engagements pris devant le pays. Ainsi seront déjouées toutes les espérances des ennemis du peuple et des fascistes, si durement frappés par le scrutin d'hier. Ces messieurs ont déclaré avant le vote qu'ils n'accepteraient pas le fait accompli, qu'ils se serviraient de la force si le Front populaire venait à l'emporter. La volonté de la majorité de la nation vient de se prononcer contre leurs menées et de repousser vigoureusement leurs mensonges et leurs menaces. La plupart de leurs chefs sont à terre. Malheur à eux s'ils refusent de s'incliner devant le peuple qui vient de leur signifier son verdict. Il appartient à tous les groupements du Front populaire de conserver plus solide que jamais l'unité qui a assuré la déroute de ses adversaires irréductibles."
A droite de l’échiquier médiatique, le ton est grave. Le Figaro explique la victoire de la gauche par “l’influence déprimante du chômage” et les répercussions de la crise sur les commerçants, les employés et les artisans, et en appelle à la responsabilité des socialistes, à qui “il devient impossible de se soustraire aux réalités du pouvoir" :
“Notons que jamais une Chambre n'aura reçu tant de « nouveaux » avec un si petit nombre d'hommes politiques expérimentés pour la conduire. Les quelques hommes d'expérience qui reviennent au Palais-Bourbon comprendront-ils que l'heure est passée des rivalités de personnes comme des manœuvres de pure ambition ? Il s'agit vraiment, cette fois, du sort historique de la nation française”.
Dans l'attente de la formation du gouvernement, une vague de grèves, avec occupations d'usines, paralyse le pays. C’est la naissance du syndicalisme de masse et un moment fondateur dans l'émancipation de la classe ouvrière.
Nommé le 5 juin, Léon Blum, premier socialiste à diriger un gouvernement en France, annonce qu'il mettra en oeuvre le "programme commun" de la gauche. Le 7, il réunit patronat et syndicats qui concluent en quelques heures les "accords de Matignon : généralisation des conventions collectives, reconnaissance de la liberté syndicale, augmentation générale des salaires (de 7% à 15%) et création de délégués ouvriers élus par le personnel. Suivront les congés payés et la semaine de 40 heures pour tous les salariés.
Cela ne suffit pourtant pas à faire baisser le chômage. Les premiers mois au pouvoir du Front populaire sont ainsi jugés très sévèrement par la presse conservatrice. En octobre 1936 l’Echo de Paris - et "trois cent quotidiens et hebdomadaires nationaux" comme l'indique Le Temps - publie un article à charge intitulé “Quatre mois de Front populaire” :
“Ce gouvernement de soi-disant justice sociale, de soi-disant bien public a multiplié les iniquités sociales. Destinée en apparence à remédier à de trop réelles insuffisances de salaires, la législation issue des accords Matignon a pris le caractère d'une opération politique : elle tend, en effet, de l'assassinat des classes moyennes. De nombreuses entreprises, hier encore prospères, ne pourront plus rémunérer les capitaux qui leur ont été confiés. Celles dont l'équilibre n'était assuré que de justesse sont vouées à disparaître, après épuisement de leurs réserves.”
En quelques mois, les difficultés économiques et les atermoiements du gouvernement face à la guerre civile espagnole achèvent de discréditer Léon Blum et, le 21 juin 1937, le leader socialiste doit remettre sa démission.
Malgré sa chute rapide, 80 ans après son élection, le Front populaire demeure dans la mémoire collective française à l’origine d’avancées historiques ayant donné un élan sans précédent aux loisirs et à la culture. Pour la gauche française, c’est toujours un modèle d’union, qui, en ces temps de division, a de quoi aviver la nostalgie.