Écho de presse

La démission du général Ludendorff, symbole de la débâcle allemande de 1918

le 26/03/2019 par Pierre Ancery
le 05/11/2018 par Pierre Ancery - modifié le 26/03/2019
Le général en chef des armées allemandes pendant la Première Guerre mondiale, Ludendorff, agence Rol, 1923 - source : Gallica-BnF
Le général en chef des armées allemandes pendant la Première Guerre mondiale, Ludendorff, agence Rol, 1923 - source : Gallica-BnF

Fin octobre 1918, le général en chef allemand Erich Ludendorff démissionne. La presse française y voit la preuve de la défaite imminente de l'Allemagne. Ludendorff, lui, n'endossera jamais la responsabilité de celle-ci – et rejoindra le parti nazi.

Avec Paul von Hindenburg, il fut pendant la Première Guerre mondiale le décideur suprême des destinées militaires de l'Allemagne. Apôtre de la guerre totale, le général en chef Erich Ludendorff (1865-1937) dut pourtant démissionner le 26 octobre 1918.

 

À ce moment-là, l'Allemagne subit depuis des mois la contre-offensive victorieuse des Alliés. Elle se sait perdue. Ludendorff, en septembre, se tourne vers le gouvernement pour qu'une demande d'armistice soit déposée, car il sait celui-ci inévitable. S'étant finalement rétracté afin de se dégager de la responsabilité de la défaite, il est poussé à la démission par le gouvernement, qui voit en lui un obstacle aux pourparlers.

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Pour la presse française, cette démission est une preuve manifeste de la débandade ennemie. Le Petit Journal parle de « profond désarroi allemand » et écrit le 28 octobre :

« Ludendorff est parti, et chacun, sans avoir besoin du moindre commentaire, a nettement aperçu les causes de ce départ. Ce général, qui pendant de longs mois incarnait aux yeux de tout bon Allemand le génie de la guerre, estime que la partie est irrémédiablement perdue et il laisse à d'autres le soin pénible de la continuer si le cœur leur en dit [...].

 

Il est facile de concevoir l'effet démoralisant qu'a provoqué en Allemagne la retraite de ce général considérée comme un aveu de défaite irrémédiable. Aussi les gouvernants de Berlin se sont-ils empressés de l'expliquer à leur façon pour essayer de calmer les alarmes de l'opinion publique [...].

 

On voit d'ici la manœuvre à double détente. Elle table sur la crédulité du peuple allemand et de l'Entente pour leur “bourrer le crâne” que la retraite de Ludendorff n'a rien à voir avec la situation militaire et qu'elle doit être envisagée comme un début de nettoyage du militarisme prussien. »

Le journal ajoute que « la chute de cette idole portera un coup au moral de l'armée et du peuple allemand » et ironise :

« Cet homme doit en grande partie sa chute à la passion du “colossal” commune à tous les Allemands [...].

 

En tout cas, il ne doit pas accuser aujourd'hui la fatalité, car voici une de ses maximes favorites : “Celui qui accuse la fatalité ferait mieux de s'accuser lui-même : une volonté forte se crée à elle-même sa destinée.” »

Même tonalité triomphaliste dans L’Écho de Paris, où le général Cherfils écrit :

« Ludendorff a été perdu par l'orgueil boche et par l'hérésie d'une stratégie trop avide de prendre et de garder des gages. Les gages n'ont une valeur d'échange que dans une paix discutée ; ils tombent devant la victoire complète qui impose ses conditions.

 

L'Allemagne perdra non seulement ses gages de 1918, mais même ceux de 1864, même ceux du 18e siècle, parce qu'elle subit une défaite totale, qui la condamne à la capitulation. »

La République française, de son côté, préfère rester prudente :

« Le général Ludendorff a donné sa démission.

 

La première pensée qui vient à l’esprit de chacun à cette nouvelle est celle-ci : le militarisme prussien est décapité puisque son chef le plus qualifié s’en va. Cette opinion est séduisante. Est-elle exacte ?

 

Gardons-nous des conclusions hâtives. Ludendorff a passé un moment, il est vrai, pour l’incarnation du grand état-major et du pangermanisme. Il y a quelques mois, sa réputation était en passe d’éclipser celle d'Hindenburg [...].

 

L’éclipse de son étoile a commencé le 15 juillet dernier. L’étoile n’était plus, lorsqu'il a été congédié, qu'une nébuleuse. Aujourd'hui, celui dont la gloire militaire devait faire pâlir celle de Napoléon est désavoué par ses concitoyens. Que lui reproche-t-on ? De s’être fait battre, sans doute ; mais surtout d’avoir désespéré du Vaterland, d’avoir proféré le sinistre sauve-qui-peut qui a déterminé les gouvernants à faire le geste humiliant de la demande d’armistice.

 

En un mot, Ludendorff était devenu défaitiste. Non seulement il ne croyait plus à la victoire, mais toute résistance lui apparaissait comme vouée d'avance à un échec lamentable. »

Plus perspicace, L’Écho d'Alger, cite quant à lui les journaux allemands qui « prennent grand soin de taire les raisons militaires qui ont pu imposer [à Ludendorff] cette décision » :

« La Gazette de Voss estime que c'est le manque de sens politique qui a fait faire à Ludendorff de nombreuses fautes [...].

 

Le Lokal Anzeiger dit :

 

Dans les états-majors et chez les soldats régnera une profonde tristesse ; c'est le premier sacrifice demandé par la Patrie à la majorité. Les autres doivent suivre.

 

La Gazette de la Croix écrit :

 

Ludendorff tombe victime de la politique mais son nom brillera toujours. Espérons que ses services seront plus tard employés de nouveau. Nous devons être reconnaissants à Hindenburg d'avoir pris la pénible décision de diriger encore maintenant l'armée allemande. »

Après sa démission, Ludendorff se réfugie en Suède. Lorsque l'armistice est signé, il refuse d'endosser la responsabilité de la défaite allemande, qu'il impute aux autorités civiles. Il sera un des grands promoteurs de la thèse du « coup de poignard dans le dos », qui veut que l'armée allemande, alors qu'elle avait la possibilité de gagner, ait été trahie par les politiciens – une chimère qui sera plus tard largement utilisée par les nazis.

 

En 1919, les « Souvenirs de guerre » de Ludendorff comptent parmi les premiers témoignages écrits de la main d'un haut gradé ayant participé à la Première Guerre mondiale. Ils sont traduits en français en 1920.

Mais c'est sa participation, en 1923, au putsch de la Brasserie, aux côtés de Hitler, qui va le ramener sur le devant de la scène. Le Petit Journal du 10 novembre 1923 parle ainsi du « coup d'état Hitler-Ludendorff » :

« Ce qui s'est passé à Munich est vraiment très curieux. Le gouvernement constitutionnel du Reich a été théoriquement renversé par Ludendorff et Hitler, puis sauvé et consolidé par le dictateur bavarois von Kahr et par le général rebelle von Lossow, c'est-à-dire par les deux adversaires les plus irréconciliables du chancelier Stresemann. [...]

Hitler tire ses deux coups de revolver, proclame la déchéance du président Ebert et du chancelier Stresemann, fait acclamer la dictature de “Son Excellence Ludendorff”, et aussitôt après il déclare “qu'il n'agit pas contre le président von Kahr”. »

Depuis la fin de la guerre, Ludendorff fréquentait en effet assidûment les cercles nationalistes et antisémites allemands et était partisan d'une « révolution conservatrice ». D'abord proche de Hitler, il s'en écarte après l'échec du putsch de Munich.

 

Il reste toutefois membre du NSDAP, avant d'être marginalisé par le futur dictateur nazi. En 1925, il fonde avec son épouse un mouvement néo-païen, le « Mouvement pour la connaissance allemande de Dieu » (Bund für Deutsche Gotterkenntnis).

 

À sa mort en décembre 1937, la presse française rappellera le rôle joué par Ludendorff dans les derniers moments de la Première Guerre mondiale :

« Erich Ludendorff, soldat, partisan, puis prophète, est mort dans l'ombre d'une retraite éclipsée par le nazisme […].

 

L'armistice ne trouve pas Ludendorff à son poste car, le 28 octobre, il a été sacrifié par Guillaume II, à la demande de son chancelier, le prince Max de Bade, et sur la pression de l'opinion publique qui, affolée à la perspective du désastre menaçant, reproche à Ludendorff de lui avoir trop longtemps caché la situation véritable et d'avoir refusé de négocier avec les alliés quand il en était temps encore.

 

Avant de se retirer, Ludendorff avait apposé sa signature, le 3 octobre, sur un document réclamant des négociations d'armistice et reconnaissant la défaite militaire des Empires centraux. »

 

Pour en savoir plus :

 

Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker, La Grande Guerre : 1914-1918, Gallimard, collection « Découvertes », 1998

 

Jean-Jacques Becker et Gerd Krumeich, La Grande Guerre : une histoire franco-allemande, Tallandier, 2008

 

Eric Ludendorff, Souvenirs de guerre (1914-1918), Nouveau Monde Éditions, 2014