Le duel Clemenceau / Deschanel
En 1894, un combat singulier oppose les deux parlementaires, Clemenceau ayant traité Deschanel de menteur et de lâche. Les duels étaient alors un moyen courant de régler les différends entre personnalités publiques.
Le 27 juillet 1894, Georges Clemenceau fait paraître dans le journal dont il est le directeur, La Justice, la note suivante :
"Un jeune drôle, du nom de Paul Deschanel, s'est permis de baver sur moi hier à la Chambre. Je n'ai pas sous les yeux le compte rendu officiel de la séance, mais je ne puis attendre plus longtemps pour lui dire qu'il s'est conduit comme un lâche et qu'il a effrontément menti.
Ce polisson, qui procède par basses insinuations, profère à l'égard de la Justice des allégations qu'il sait mensongères, comme en témoignent les livres du journal que j'ai offert de montrer.
Ce n'est pas tout. Il a mis en cause la politique extérieure que j'ai suivie pendant vingt ans, avec l'approbation de tout mon parti, et il a honteusement insinué que je servais un intérêt étranger. Pour proférer une pareille accusation quand on la sait mensongère, il faut être, comme M. Deschanel, le dernier des misérables.
Il a osé répondre à M. Pelletan qu'il m'avait dit ces choses en face. Où ? Quand ? Devant qui ?
M. Paul Deschanel est un lâche.
M. Paul Deschanel a menti.
G. Clemenceau"
La note fait suite à une altercation survenue la veille entre Clemenceau et Paul Deschanel à l'Assemblée nationale, le second ayant fait allusion à une implication du premier dans l'affaire du canal de Panama. Cette attaque contre Clemenceau est alors récurrente. Le député, fréquemment accusé d’œuvrer pour des puissances étrangères, en avait déjà demandé raison au nationaliste Paul Déroulède en 1892.
Le Journal du 28 juillet raconte la suite des événements.
Deschanel, offensé par l'article, en demande le retrait ou "une réparation par les armes". Clemenceau refuse le retrait : un duel à l'épée a lieu à Boulogne.
"Les conditions de la rencontre ont été arrêtées ainsi qu'il suit :
Épée de combat, gant de ville à volonté, reprises de deux minutes, interdiction des corps-à-corps et de l'emploi de la main gauche. Le combat ne cessera que lorsque l'un des deux adversaires aura été mis dans un état d'infériorité manifeste. […]
Conformément au procès-verbal ci-dessus, la rencontre a eu lieu le 27 juillet, à dix heures du matin. À la seconde reprise, M. Paul Deschanel a reçu sur la partie latérale droite du front une blessure s'étendant jusqu'à la paupière supérieure et déterminant un écoulement de sang qui, de l'avis des médecins, le plaçait dans l'état d'infériorité prévu ci-dessus. En conséquence, le combat a été arrêté d'un commun accord."
Clemenceau, qui participa dans sa vie à douze duels, racontera plus tard le déroulé de celui-ci : "Je n'avais pas encore fait un mouvement que Paul avait reculé de deux pas [...] Ma mauvaise impression s'accentue et puis Paul est devenu terreux, de la couleur de ses cheveux [...]. Au bout de la deuxième reculade, on s'aperçoit que mon petit Paul est blessé [...] Voila mon duel, je n'en suis pas fier."
Les dernières années du XIXe siècle, empoisonnées par la violence des débats publics, virent en France l'apogée de la "mode" du duel. Ils perdurèrent pendant la Belle Époque, puis la guerre de 1914 causa leur fin.