Extrait du journal

— Vous êtes bien la compagne qu’il me fallait, ajouta-t-il, prête aux luttes et trem pée pour la vie; mais rassurez-vous, je ne marche pas au combat sans munitions. Vous voyez en moi un capitaine d’aventure qui entre en campagne à la tête de trois ou quatre cent mille soldats. — Oh 1 oh 1 c’est plus qu’il n’en faut pour faire un grand nombre de prisonniers de la même espèce ! — Oui, reprit Gabriel d’un air gai, mais si vous saviez comme les miens sont ac coutumés aux déroutes et comme ils pren nent la fuite aisément à l’heure où l’on s’y attend le moins ! — Eh bien, après la retraite on bat le rappel... et les fuyards se rallient 1 L’entretien en resta là. Trois ou quatre cent mille francs pour entrer en ménage c’é tait plus que Mlle Van der Flit n’avait osé l’espérer. C’était une avant-garde brillante avec laquelle il était permis de marcher à la conquête du million. Et le million pris d’assaut n’ouvrait-il pas à deux battants les portes de l’avenir? Le teint animé, l’œil étincelant, Mina rentra au salon qui commençait à se vider ; son premier regard tomba sur Juliette qui causait avec son fiancé. Blottie dans un fauteuil, à demi pen chée vers lui, ne voyant rien de ce qui l’entourait, perdue dans une attention qui la tenait suspendue aux lèvres de Jules, allanguie par cette lassitude que laisse après elle une sensation de plaisir, elle était dans son immobilité la vivante image du bonheur. Un frisson traversa le cœur de Mina. Elle fit en esprit un retour sur elle-même. Ainsi aurait-elle pu être si le rêve d’un jour avait eu un lendemain ! Ce n’était pas un de ces coups de vent qui ont la violence d’une tempête qui l’avait emporté, mais un de ces misérables souf fles qui rasent la terre et soulèvent la poudre des chemins. Aurait-elle la lâcheté de regretter ce passé d’une heure? En ce moment une main se posa sur son épaule....