Extrait du journal

Perché sur le haut tabouret d'un bar à la mode, dont les glaces réfléchissent les fioles et les cristaux étagés en ordre de bataille, avec des petits drapeaux fichés çà et là, comme pour rallier ce régiment de beuverie, le jeune élégant Français, qui pompe son cock-tail avec une paille, en écoutant un air de banjo, ne se doute pas des origines de ce qu'il boit et de ce qu'il entend ; pas plus qu'il ne peut s'imaginer que ce Dar luxueux, avec sa tringle de cuivre étincelante et son acajou luisant, fut d'abord le grossier comptoir de l'épicier, grand maître du commerce pour les émigrants, chez lequel on buvait après avoir pesé les sachets de poudre d'or et marchandé de la chandelle. Le bar tuera le bistro, comme peu à peu le cock-tail tue les autres apéritifs. Dans beaucoup de nos colonies, l'heure de l'absinthe est en réalité l'heure des cock-tails. Nous sommes à la veille d'une révolution ; le cocktail va se démocratiser....