Extrait du journal

La vocation de prisonnier Je lui fis mes adieux, à elle et à sa sœur, comme la nuit était déjà venue. Ce serait la dernière que je passerais à Paris. Je lui avais dit que Maurice Bardèche était parti pour le Midi, mais que, dès qu’il aurait mis les nôtres en sûreté, il revien drait à Paris se mettre à sa dispo sition et voir ce que l'on pourrait faire pour nos amis. C’était faire des projets d'avenir un peu naïfs, en con tradiction avec toutes nos craintes, et lorsque Maurice et ma voiture ât-, teignirent les P>renées, il ne pouvait être question de remonter vers le Nord. Je l’avais embrassé, à l’entrée de la gare, en me demandant quand je le reverrais. Nos années d'étu diants et de frères, sur ce fond brouillé de fuites et de fumées, res suscitaient au cœur d’une tragédie immense. Rentré chez moi, dans les pièces désertes où nous avions vécu, entre les fenêtres voilées de papier bleu déchiré, j’errais, regardant ce décor qui m'était cher, évoquant nos jours de bonheur, notre travail, les peines de notre vie aussi, et la pré sence de ma sœur, et ce petit enfant que j’avais à peine vu entre deux trains et que, déjà, or devait abriter dans les tranchées. Je pensais que ma mère avait vu jusqu'à présent, dans sa vie sous l’uniforme son père, son mari, et fils, et qu’elle pour rait encore, si la folie des hommes continuait, y voir son petit-fils, et que c'était trop pour une existence humaine....