Extrait du journal

pays tout en frontières, indépendant des grandes nations qu’il unit et sépare à la fois. Vivre dangereusement : voilà une constante de sa vie. Vivre de la vie euro péenne : en voilà une autre. Mais, dans cette situation périlleuse, entre les hauteurs protectrices, la nature a déli mité un espace libre, ou plus exactement des espaces libres, propres à servir de cadre à une nation : c'est le plateau avec ses prolongements, avec les grandes vallées en berceau, qui s'insinuent jusqu'au cœur de la montagne. Le sol helvétique est tour menté, creusé, plissé, divisé en unités géo graphiques qui communiquent, mais qui ont chacune leur individualité. Chacune de ces cellules était prédestinée à recevoir un groupe humain, une cité. Les cités peuvent différer par la langue, par les origines, par le statut social, mais entre elles, il y a eu une volonté commune, celle de ne pas être reprises par les grands ensembles dont les obstacles géographiques les avaient déli vrées. Mais la Suisse ne peut pas vivre à l’écart de l’Europe. Née de l'anarchie qui ruinait l'empire germanique, elle a subi toutes les grandes crises qui sont passées sur l'Europe. Elle a subi la révolution française; elle y a même perdu son indépendance. Comment résistera-t-elle à la crise qui s'est ouverte en 1914 et d'où sont sorties tour à tour la révolution bolcheviste, déjà à son déclin, la révolution fasciste ou nationale-socialiste qui la presse sur trois côtés? Pour qu'un petit peuple justifie son existence, il ne suffit point qu'il tire de ses archives « les traités et les pactes les plus authentiques, les mieux garnis de signatures et de sceaux »; il ne suffit même pas qu'il soit résolu à se défen dre. « Il faut qu'il apporte au monde une forme originale de civilisation, sans laquelle la civilisation générale serait incomplète. » Il n'appartient pas à un Français de suivre M. de Reynold dans sa critique des « mes sieurs de Berne ». Marquons seulement le point du débat. La Suisse, démocratie fédé raliste, démocratie directe, association de cantons égaux, est en danger de devenir une démocratie parlementaire, centralisée, bu reaucratique, étatisée et socialisante. Voilà contre quoi s'élève M. de Reynold avec une âpre conviction. Tant que la Suisse reste conforme à sa destinée historique, elle ne comprend que des égaux : le jour où elle devient centralisée, unificatrice, le problème des minorités se pose pour elle sous une forme aiguë. Ce que notre auteur repro che à Berne, c'est précisément de tendre à cette centralisation, de l'instaurer par des voies obliques, comme plus commode à la gestion des intérêts matériels, alors qu'elle met en danger l'âme même du pays. Le fédéralisme qu'il défend rc se pré sente pas comme un simple équilibre de pouvoirs ou un partage de recettes fiscales. Il est moral, religieux, humain. Il implique le respect de l'individu et des associations naturelles. I! est l'originalité de la nation. Il trouve son principe et ses forces dans la terre et dans le passé; il est le seul rempart derrière lequel la Suisse peut rester ellemême. Tel est ce livre, trop rapidement, trop sommairement résumé. Il est riche et fort; il compte et il comptera. Notre journal aurait manqué à son devoir en ne le signa lant pas. Pierre GAXOTTE....