Extrait du journal
Le président Hcrriot venait d’annoncer que la discussion generale était ouverte. M. Léon Blum, entouré de ses ministres, était au banc du gouvernement. A cet instant, M. Victor Hugo se leva et descendit len tement vers le centre de l’hémicycle. Une vive émotion s’empara de l’assemblée. C’était la première fois, depuis les débuts de la III* République, que l’illustre pros crit du Deux-Décembre reprenait la parole devant le Parlement français. Posément, mais d'un pas assuré en dépit de son grand âge, il gravit les degrés de la tribune. M. Victor Hugo. — Messieurs, quoique les vérités fondamentales qui sont à la base de toute démocratie, et en particulier de la grande démocratie française, aient reçu le 31 mai dernier une grave atteinte, comme l'avenir n’est jamais fermé, il est toujours temps de les rappeler à une assemblée légis lative. Ces vérités, selon moi, les voici : La souveraineté du peuple, le suffrage uni versel, la liberté de la presse sont trois choses identiques, ou, pour mieux dire, c’est la même chose sous trois noms différents. A elles trois, elles constituent notre droit public tout entier; la première en est le principe, la seconde en est le mode, la troisième en est le verbe. La souveraineté du peuple, c’est la nation à l’état abstrait, c’est l’âme du pays. Elle se mani feste sous deux formes; d'une main, elle écrit, c’est la liberté de la presse ; de l’autre, elle vote, c’est le suffrage universel. Ces trois choses, ces trois faits, ces trois principes, liés d'une solidarité essentielle, fai sant chacun leur fonction : la souveraineté du peuple vivifiant, le suffrage universel gouver nant. la presse éclairant, se confondent dans une étroite et indispensable unité, et cette unité, c’est la république. Et voyez comme toutes les vérités se retrou vent et se rencontrent, parce qu'ayant le même point de départ elles ont nécessairement le même point d’arrivée ! La souveraineté du peuple crée la liberté, le suffrage universel crée l’égalité, la presse, qui fait le jour dans les esprits, crée la fraternité. Partout où ces trois principes : souveraineté du peuple, suffrage universel, liberté de la presse, existent dans leur puissance et dans leur plénitude, la république existe, même sous le mot monarchie. 1 .à où ces trois principes sont amoindris dans leur développement, opprimés dans leur action, méconnus dans leur solidarité, contestés dans leur majesté, il y a monarchie ou oligarchie, même sous le mot république. Et c’est alors, comme rien n’est plus dans l’ordre, qu’on peut voir ce phénomène mons trueux d’un gouvernement renié par ses propres fonctionnaires. Or, d’être renié à être trahi, il n’y a qu’un pas. Et c’est alors que les plus fermes cœurs se prennent à douter des révolutions, ces grands événements maladroits qui font sortir de l’om bre en même temps de si hautes idées et de si petits hommes ! (Applaudissements.) Des révolutions, que nous proclamons des bienfaits quand nous voyons leurs principes, mais qu’on peut, certes, appeler des catastrophes quand on voit leurs ministres ! (Acclamations.) A ce moment, M. Léon Blum donne quel ques signes de nervosité. Il tapote rageusement le bord de son pupitre. M. Jean Zay se pen che vers lui pour le réconforter. M. Victor Hugo. — Je reviens, messieurs, à ce que je disais. Prenons-y garde et ne l’oublions jamais, nous législateurs : ces trois principes, peuple souverain, suffrage universel, presse libre, vi vent d’une vie commune. Aussi voyez comme ils se défendent réciproquement ! La liberté de la presse est-elle en péril, le suffrage universel se lève et la protège. Le suffrage universel est-il menacé, la presse accourt et le défend. Mes sieurs. toute atteinte à la liberté de la presse, toute atteinte au suffrage universel est un atten tat contre la souveraineté nationale. La liberté mutilée, c’est la souveraineté paralysée. La souveraineté du peuple n’est pas, si elle ne peut agir et si elle ne peut parler. Or, entraver le suffrage universel, c'est lui ôter l’action ; entra ver la liberté de la presse, c'est lui ôter la parole. Eh bien, messieurs. la première moitié de cette entreprise redoutable a été faite le 31 mai dernier... Une voix à droite. — Sarraut ! Sarraut î M. Paul Thcllier. — Je ne laisserai pas... M. le Président. — Messieurs, veuillez écouter l'orateur. M. Victor Hugo. — ...a été faite le 31 mai dernier. On veut aujourd’hui faire la seconde. Tel est le but de la loi proposée. C’est le procès de la souveraineté du peuple qui s'ins truit. qui se poursuit et qu’on veut mener à fin. (Oui ! Oui ! C’est cela f) Il m’est im possible, pour ma part, de ne pas avertir l’as semblée. Messieurs, je l’avouerai, j’ai cru un moment que le cabinet renoncerait à cette loi. M. Léon Blum. — Non I A/. Victor Hugo. — Il me semblait, en effet, que la liberté de la presse était déjà toute livrée au gouvernement. La jurisprudence aidant, on avait contre la pensée tout un arse nal d’armes parfaitement inconstitutionnelles, c’est vrai, mais parfaitement légales. Que pou vait-on désirer de plus et de mieux ? La liberté de la presse n’était-elle pas saisie au collet par des sergents de ville dans la personne du col porteur ? traquée dans la personne du erieur et de l'afficheur > mise à l’amende dans la personne du vendeur ? persécutée dans la per...
À propos
Anticommuniste, profasciste, antisémite et positivement favorable à Hitler, Je suis partout est le journal d’extrême-droite le plus violent jamais publié en France. Si violent que son directeur Arthème Fayard, fondateur des éditions Fayard, décide dès mai 1936 de cesser sa parution. À sa mort en novembre 1936, le journal est toutefois relancé par son fils et Pierre Gaxotte, futur membre de l’Académie Française.
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