Extrait du journal

CORRESPONDANCE PARTICULIERE Du Journal db Saint-Quentin Paris, 2 février. On ne parlait hier soir sur les boulevards que de la condamnation du journal les Droits de l’Homme.Le journal frappé n’excitait pas grande sympathie, mais on n’en n’était pas moins sur pris de la gravité de la peine édictée. Les ama teurs de rapprochements historiques faisaient remarquer que le journal avait été condamné par application d'une loi de 4868 qui, lors de sa discussion, avait été énergiquement combattue par M. Jules Simon, alors député de l'opposition et ardent défenseur de la liberté « illimitée » de la presse. Le public, peu familier avec li signification exacte des termes juridiques, avait pris au pied de la lettre le texte de l’arrêt. On se demandait en conséquence si les Droits de l’Homme se sou mettraient ou s’ils paraîtraient ce matin. C’est cette dernière hypothèse qui s’est trouvée exacte. Ne voyez pas là cependant une tentative de ré bellion contre la loi. L’exécution immédiate veut simplement dire que les délais d’appel et de jugement seront réduits dans la plus grande pro portion. Dans l’espèce, le jugement ayant été rendu hier jeudi, l’appel interjeté immédiate ment par les Droits de l’Homme peut venir lundi prochain au plus tôt. Pour peu qu'on perde quel que temps, c’est une marge de huit à dix jours de vie laissée au journal radical. C'est du reste le calcul auquel les Droits de l'Homme se livrent maintenant. Ils ne paraissent pas douter d’ail leurs que le jugement du tribunal soit confirmé par la Cour, car ils annoncent à l’avance qu’ils suspendront leur publication. Seulement, ils ajoutent que dans six mois, quand ils reparaî tront, M. Jules Simon ne sera plus ministre. Dans l’article qu’ils consacrent à leur procès, les Droits de l’Homme, par une étrange pétition de principes, s’en prennent au ministre de la con damnation dont les frappe la magistrature. « M. Jules Simon, écrit M. Sigismond Lacroix, perd sa considération, son honneur d’homme politi que... il s’est suicidé moralement. » On annonce pour demain un article très-vif de M. Henri Rocnefort contre M. Jules Simon. On fait même courir le bruit, mais je ne vous le transmets que sous réserves, que les Droits de l Homme publieraient certains documents en la possession de M. Rochefort, et dont la reproduc tion pourrait être fort désagréable à M. le président du conseil. Il ne m a pas été possible de m’assurer de l’authenticité de cette rumeur. Vous comprenez bien d’ailleurs qu’il n’y aura que le titre de Droits de VHomme qui sera suppri mé. Un autre journal paraîtra, sous un titre en core à trouver, et se donnera comme principal objectif le renversement du cabinet. 11 est curieux de constater le soin mis par le Rappel à ne pas apprécier le jugement qui frappe les Droits de l’Homme. C’est qu'en réalité, le Rappel n’aime point avoir de concurrents et le journal intransigeant lui faisait le plus grand tort près de sa clientèle. Le Rappel a, du reste, été toujours très-prudent en matière de polé mique et je ne crois pas que depuis la chute de l’empire il ait encouru une seule condamnation. Maintenant y aura-t-il, comme le prétendent certains nouvellistes, une interpellation à la Chambre? Je ne le crois pas, ou, si elle est faite, elle ne serait pas soutenue par la majorité. On ne sait pas d’ailleurs sur quoi pourrait porter l’interpellation, puisqu’il s’agit, non pas d’une poursuite, mais d’un jugement, et que le gou vernement ne pourrait tolérer une pareille dis cussion. En outre, M. Gambetta, je vous l’ai déjà écrit, fera tout sou possible pour faire durer le cabinet quelque temps encore. Vous en voyez,...